Se loger à Bruxelles coute de plus en plus cher. Pour certains foyers, on estime que le cout du loyer peut représenter jusqu’à 70% de leurs dépenses mensuelles. Dans ces conditions d’existence, l’endettement n’est pas difficile à imaginer. Dettes de loyer mais aussi dettes pour tout le reste, puisque de toute façon, il n’y a pas assez pour vivre. Alors quoi ? Comment ça se fait ? Quelles sont les lignes générales qui conduisent à un tel état de fait ?

© Esquifs
Lors d’un atelier que nous avons organisé le premier jour, nous avons mobilisé nos vécus et expériences autour du logement pour approfondir ces questions et tenter d’imaginer ensemble à quoi ressemblerait une politique du logement plus égalitaire.
Pour manger, combien je dépense ? Par jour ? Par semaine ? Par mois ? Par an ?
Et pour me déplacer, combien je dépense ? Par jour ? Par semaine ? Par an ?
Et pour m’habiller, combien ? Par mois ? Par an ?
Et pour me soigner, combien ? Combien pour fumer ?
Pour m’amuser, pour me distraire, pour m’éduquer, combien ?
Par jour ? Par semaine ? Par mois ? Par an ?
Et pour me coiffer, me faire beau ?
Combien pour me loger ?
Combien pour me laver, pour boire, pour faire mes lessives ?
Combien pour me chauffer ?
Par été, par hiver, par mois, par an, par heure ?
Combien pour téléphoner, combien ?
Et pour parler, combien ?
Combien pour marcher ?
Combien pour dormir ?
Combien pour être là ?
Combien pour digérer une dispute ?
Combien pour aimer ?
Combien pour vivre ?
Et combien pour mourir ?
Hein, combien ?
Apnée
ATELIER DETTE ET LOGEMENT
Animé par Sarah De Laet (Action Logement Bruxelles) et Martin Lamand (Union des Locataires Marollienne)
♦ Dispositif prévu ♦
Partie 1 : dresser le portrait de l’organisation du « logement » à Bruxelles
⚟ C’est pas ta faute si tu galères.
⚟ On est face à un système agressif, il y a une lutte en cours, et elle se fait contre toi.
▸ Distribution de copions proposant 5-6 thématiques. Par exemple : « Mon patron est un sale type, mais avec 1300 euros de crédit je vais rester docile. » L’idée c’est que par groupes de quatre, les personnes discutent de ces affirmations. On peut suggérer des questions : « Est-ce que ça fait écho à quelque chose que vous avez vécu ou que vous avez entendu ? Comment ça se fait que ça se passe comme ça selon vous ? »
▸ Retour en collectif : on forme un grand cercle, chaque groupe lit son copion et résume les échanges. L’idée ici c’est de partir des situations individuelles pour aller vers du systémique et du collectif. Dans le partage, chacun·e parle, on ajoute des éléments, on fait tourner la parole.
▸ On clôture la discussion avec un petit topo de Sarah pour récapituler cette idée que la lutte contre les non-possédant·es est en cours.
Partie 2 : Les luttes
⚟ Réussir à développer ses arguments et sa pensée critique.
▸ On n’est pas n’importe où, on est dans les Marolles, c’est un lieu qui a une histoire. Martin parle des luttes dans les Marolles, de l’Union des Locataires Marollienne.
▸ Débat mouvant, option « Match de Foot ». On propose une affirmation et les gens vont se répartir dans l’espace selon qu’ils sont « pour ou contre » cette affirmation.
On peut insister pour dire que le positionnement peut-être stratégique (se faire l’avocat du diable). Ensuite chaque groupe prend cinq minutes pour travailler un argumentaire, s’ensuit un échange. Si une personne se sent super convaincue par les arguments, elle peut changer de groupe. Quand on a épuisé le débat, on change d’affirmation.
Affirmations proposées (par ordre chronologique)
▸ Ce qu’il faut c’est construire du logement social.
▸ Ce qu’il faut c’est exproprier les marchand·es de sommeil.
▸ Ce qu’il faut c’est donner une allocation loyer à tout le monde.
▸ Ce qu’il faut c’est aller vivre à la campagne.
▸ Ce qu’il faut c’est abolir la propriété privée.
Débriefing en collectif : comment on se sent, ce qu’on retiendra
♦ Ce qui s’est réellement passé ♦
Il y avait 25 personnes prévues pour cet atelier. Au final, il n’y aura que 7 participant·es.
On va improviser…
On se présente.
Partie 1
« Vous me direz ce que vous voudrez, mais il vivent à 10 dans deux pièces : pas étonnant que les gosses ne s’en sortent pas à l’école. »
On parle du Covid.
Comment les logements sont-ils alloués ? Comment la sur-occupation a lieu ? Refus des propriétaires. « L’objectif, ce n’est jamais de loger les
plus pauvres. »
« La seule politique du logement en Belgique, c’est l’accès à la propriété privée. »
Explosion des loyers à partir de 2009.
Le problème, c’est que la demande ne vient pas que des vrais gens :
« Je vais acheter une maison pour la louer. »
« Une partie du capital se fixe sur le sol des villes. »
L’argent doit trouver des débouchés : il y a trop d’argent/stratégies.
Si on veut faire baisser les prix des loyers, il faut baisser les prix des
loyers.
Aujourd’hui, les loyers appauvrissent les classes populaires : la moitié des logements.
37 % des enfants à Bruxelles vivent dans un logement insalubre.
Les rénovations sans gel des loyers, ce sont des expulsions.

© Esquifs
Partie 2 : Martin/les Marolles
Des dates et des repères pour commencer :
▸ 994 : Bruxelles devient un bourg fortifié. Tout autour, les faubourgs.
▸ 1134 : une léproserie est construite sur l’emplacement de l’actuel hôpital Saint-Pierre. La rue Haute est alors une voie romaine qui va de l’enceinte fortifiée de Bruxelles centre à la léproserie (et même plus loin à Saint-Gilles) en passant par le quartier des tisserands, près de l’actuelle église Notre-Dame de la Chapelle. À noter : déjà à l’époque, les bourgeois·es de la ville de Bruxelles craignent les tisserands : les portes de la ville étaient fermées la nuit.
▸ 1360, les tisserands fomentent une émeute : ils sont massacrés.
▸ 1383 : la deuxième enceinte est construite. Le quartier prend forme autour de la rue Haute.
▸ 1405 : un incendie ravage la quartier de la Chapelle.
▸ Au XVIIe siècle, des congrégations religieuses s’installent dans le quartier.
▸ Au XIXe siècle, avec la construction du palais de justice et la mise en place d’une politique haussmannienne, la rue Blaes est percée et les premières expropriations ont lieu. En 1883, pour protester contre la cherté de la vie, les habitant·es saccagent le palais de justice. Les premières associations se forment, notamment pour lutter pour le suffrage universel.
▸ Après 1945 : les logements sont insalubres/pas de sanitaire/ énormément d’habitant·es.
▸ Après 1959 : construction de logements sociaux.
▸ 1969 : projet d’extension du palais de justice/bataille collective de la rue de la Samaritaine. L’identité de quartier est une forme de résistance : tu galères, je galère… c’est une opportunité à saisir. Si tu prives les pauvres de collectif, c’est la misère.
▸ Aujourd’hui, avec les injonctions liées à l’organisation du travail social : passage du travail social militant au travail social individualisé.
Nous, on n’est pas face à des gens trop pauvres, mais face à des gens qui ne peuvent pas payer des loyers trop chers.
« Le marché, ça ne marche pas. Magiquement, le marché ne loge pas tout le monde.
Il faut qu’on chope des terres.
Le principe du logement social, c’est incroyable. »
« LE LOGEMENT C’EST LA BASE »
Sarah De Laet (Action Logement Bruxelles)
Parler de logement
Je m’appelle Sarah, j’ai 33 ans et je ne suis pas surendettée. Je n’ai pas de problème de logement, j’ai été invitée à animer un atelier sur le sujet parce que je travaille sur « le logement » depuis bientôt dix ans maintenant. Travailler sur le logement c’est vaste, moi ce que je fais depuis quelques années c’est surtout que je parle du logement. Parler j’adore ça.
Je parle de logement à trois catégories de personnes, des catégories mouvantes et qui, au hasard de la vie, se recoupent ou se recouperont. Je parle à des militant·es (le plus souvent), je parle à des classes moyennes qui ont peur d’être des bourreaux et des victimes, et finalement je parle à des personnes mal logées. Je considère que toutes ces personnes sont concernées par les questions de logement, parce qu’elles ont toutes une réalité d’habitant·es ; mais elles ne sont pas exposées de la même façon à la violence du marché. Inlassablement, je raconte les mêmes choses.
À toutes je leur dis ceci : oui, les prix des logements ont augmenté ces dernières années en Belgique, à Bruxelles, dans les villes en général. Oui cette augmentation est massive sur certains « segments ». Oui, c’est dans le segment du marché qui loge les pauvres que les prix ont le plus augmenté. Non vous ne rêvez pas. Je dis aussi ceci : oui le marché est structurellement raciste et classiste ; oui ce n’est pas juste ; oui les Arabes et les noir·es et les gens au CPAS se font refuser une location sur des motifs discriminants. Je dis ce que beaucoup soupçonnent déjà, que ces histoires de rénovation urbaine c’est bien une arnaque, que la mixité sociale est un concept politique qui vise à installer des classes moyennes dans des quartiers populaires (et jamais des pauvres chez les riches) et que ces politiques font monter les prix du sol et des loyers, et que cela impacte la qualité de vie d’un tas de personnes, notamment des pauvres (qu’elles soient issues des classes populaires ou pas).
Je parle de logement à des personnes mal logées, à des personnes qui ne pensaient pas que cela leur arriverait un jour de ne pas « trouver », à des personnes qui veulent acheter pour mettre en location, à des personnes qui hériteront un jour de quelque chose.
Mais le plus étrange pour moi c’est toujours de parler aux personnes qui galèrent vraiment ; parce qu’au fond, je leur dis tout ce qu’elles savent déjà, ce qu’elles vivent au quotidien, ce que d’autres m’ont appris, et que mes conditions de vie et ma position sociale m’ont permis de « répéter » d’une façon qui plait, parce que je « parle bien ». Mais au fond ce que je dis c’est ce qu’elles n’osent pas toujours se dire : ce n’est pas ta faute.
Et je crois fermement qu’il s’agit du cœur de l’éducation populaire que de travailler continuellement cette question de la responsabilité individuelle. Le mal logement n’est pas la responsabilité d’une mère, d’un homme jeune en migration, d’un·e étudiant·e, d’une personne en dépression, en maladie de longue durée, d’une personne sans emploi, d’une caissière, etc. Si ces personnes sont mal logées, si elles n’arrivent pas à payer, si elles sont sur le point de se faire expulser, ce n’est pas leur faute. Ce n’est pas ta responsabilité individuelle, c’est structurel. Et parce que c’est structurel c’est politique et donc forcément collectif. Forcément.
Le logement c’est la base
Dans le secteur logement on a une phrase qu’on dit souvent : « Le logement c’est la base. » Cette simple phrase permet de dire plein de choses : on a besoin d’une adresse pour avoir accès à la sécurité sociale, à un compte en banque, à un travail, etc. Mais avant tout, elle dit quelque chose d’encore plus fondamental : le logement c’est vital. Avoir un logement, mais plus encore, avoir un chez-soi, c’est indispensable pour être bien. C’est indispensable pour avoir une chance d’être en bonne santé, physique bien sûr, mais aussi mentale.
Les pauvres, voyez-vous, sont à peu près toujours logé·es dans des logements peu ou pas salubres. Et en plus, ils paient cher. Ça ressemble à une malédiction, mais c’est en réalité un fait un assez logique et structurel : dans un marché locatif privé, les logements rénovés valent plus cher que les logements qui ne sont pas rénovés. Le corollaire de cela c’est que les logements pas chers, les logements pour les pauvres donc, sont les logements qui ne sont pas rénovés. Parce que s’ils étaient rénovés, on les louerait plus cher et ils ne seraient plus habités par des pauvres.
Le logement répond à notre besoin de sécurité ontologiquen. C’est-à-dire que, pour se sentir en sécurité dans notre être, on a besoin d’un logement. Parce que le logement, c’est cet endroit dans lequel, si tout va bien, tu entres, tu fermes la porte et d’un coup d’un seul tu es « chez toi », tu t’extrais des contraintes sociales, tu respires, tu souffles. C’est cet endroit dans lequel tu vas pouvoir dormir d’un sommeil profond et quand tu te réveilleras le lendemain matin, tout-sera-toujours-là. Les enfants que tu aimes et que tu protèges seront toujours là, les objets dont tu as besoin pour ton bien-être et ta survie seront toujours là.
Voilà pour la théorie. Mais dans la vie, dans la vraie vie, répondre à ce besoin s’avère compliqué. Surtout quand on a peu de revenus. Parce qu’il faut comprendre quelque chose de très important : dans les villes, le marché locatif privé n’a jamais logé de façon digne et salubre les classes laborieuses et populaires. Et ce que nous vivons aujourd’hui c’est un moment pendant lequel ce mal logement s’étend à une partie de la classe moyenne.
Les pauvres, voyez-vous, sont à peu près toujours logé·es dans des logements peu ou pas salubres. Et en plus, ils paient cher. Ça ressemble à une malédiction, mais c’est en réalité un fait un assez logique et structurel : dans un marché locatif privé, les logements rénovés valent plus cher que les logements qui ne sont pas rénovés. Le corollaire de cela c’est que les logements pas chers, les logements pour les pauvres donc, sont les logements qui ne sont pas rénovés. Parce que s’ils étaient rénovés, on les louerait plus cher et ils ne seraient plus habités par des pauvres.
Pour autant, ces logements ne sont pas bon marché et leur rapport qualité-prix est souvent déplorable. On peut l’expliquer. En fait, le marché du logement « pour pauvres » est très tendu. À Bruxelles, mais dans les grandes villes en général. Parce qu’il y a beaucoup de personnes pauvres, et finalement « peu » de propriétaires qui acceptent de louer à des personnes qui n’ont pas de CDI, de peau blanche, etc. Ainsi, les ménages pauvres, issus de l’immigration, dans des trajectoires professionnelles peu stables, etc., sont amenés à se livrer à leurs dépens une concurrence féroce sur le marché locatif privé. Cela les amène à accepter de louer trop cher des logements trop petits ou peu salubres. Et parfois cela les amène à devoir payer des sommes qu’ils et elles ne peuvent pas payer s’il faut vivre en plus de se loger (ce qu’il faut faire). Alors petit à petit beaucoup de personnes deviennent expulsables.
Les expulsions sont simplement inhumaines
Comme une petite quarantaine de personnes, je suis membre d’un collectif qui s’appelle le Front Anti-Expulsion. On tient une permanence tous les lundis après-midis. Parfois on est trois, quatre à la tenir et personne ne vient. Parfois on est deux et il y a 5 personnes qui arrivent. La plupart d’entre elles sont menacées d’expulsion, elles veulent une aide juridique, financière, et cherchent un nouveau logement. Nous ne faisons rien de tout ça. Ce que nous voulons faire, ce que nous essayons de faire c’est « d’organiser une défense collective et solidaire face aux expulsions, et de rendre visibles les expulsions ». Parfois on y arrive, parfois pas du tout. On essaie. Avec le Front Anti-Expulsion on rencontre beaucoup de personnes très différentes les unes des autres, mais à la longue on a l’impression d’entendre toujours les mêmes histoires. Et c’est insupportable de voir comme il s’agit toujours des mêmes histoiresn.
À Bruxelles, chaque année, une procédure d’expulsion est prononcée à l’encontre de 5 000 ménages, un tout petit peu moins d’un ménage sur cent. C’est loin d’être négligeable. Dans 90% des cas, ces expulsions sont motivées par des loyers impayés. En moyenne, la somme due est de 3 000 eurosn.
La majorité des personnes qu’on rencontre au Front, ce sont des personnes qui n’ont plus réussi à payer la totalité de leur loyer pendant au moins deux mois. Avec des boulots pourris et des accidents de la vie, les dettes peuvent vite s’accumuler. Souvent on commence par ne pas dépenser d’argent pour d’autres besoins (loisir, santé, nourriture, etc). Puis on accumule d’autres dettes (téléphonie, amendes, eau, gaz et électricité, etc.), et enfin seulement, on cesse de payer tout ou partie du loyer. Dans cet ordren. Alors, quand elles en arrivent à être endettées vis-à-vis de leur propriétaire, c’est souvent une galère bien plus grande à laquelle elles font face, les personnes qu’on trouve en face de nous.
Les expulsions ont lieu parce que notre Constitution, notre État, notre Région protège avant tout la propriété privée et ses intérêts, bien avant le droit au logement. Les expulsions ont lieu, et le mal logement existe, parce que des loyers trop élevés sont exigés à des personnes dont les revenus sont trop faibles.
Souventn elles ont arrêté de payer leur loyer parce que le propriétaire refusait de faire des travaux qu’elles jugeaient indispensables (réparation d’une fenêtre, réparation de la chaudière, fuite de gaz, fuite d’eau, inondations à répétition, etc). Après des coups de fils, des engueulades verbales, elles ont dit : « Si tu ne répares pas on arrête de payer. » Et crac. Aucune preuve écrite, aucune trace, juste une cessation de paiement, sans avocat, sans rien. Même si le logement est insalubre, ce qui est bien souvent le cas, la justice de paix, dans l’immense majorité des cas, ne leur laissera aucune chance. Aucune. Sans être là, parfois même sans savoir qu’elles ont été convoquées (un nombre important de nos locataires nous racontent que leur propriétaire intercepte les courriers), elles se feront expulser et condamner à payer de grosses sommes pour un logement peu salubre, voire insalubre. Ensuite, c’est retour sur le marché privé, galère pour trouver un nouveau logement, etc.
Je voudrais maintenant vous livrer une certitude, quelque chose que je ne peux pas vérifier, mais dont je suis convaincue et que toutes les assistantes sociales avec qui j’ai parlé pensent aussi, et que toutes les personnes qui ont vécu ou fait vivre une expulsion et avec qui j’ai parlé pensent également : les expulsions sont traumatisantes, gravement traumatisantes. Toutes les personnes qui ont vécu une expulsion en souffrent. Qu’elles l’expriment un peu, beaucoup, souvent ou jamais. Qu’elles aient développé un syndrome de Diogène ou pas, qu’elles aient ou non retrouvé un logement, qu’elles aient ou non « épongé » leur dette. Les expulsions sont un traitement inhumain et dégradant.
Les expulsions ont lieu parce que notre Constitution, notre État, notre Région protège avant tout la propriété privée et ses intérêts, bien avant le droit au logement. Les expulsions ont lieu, et le mal logement existe, parce que des loyers trop élevés sont exigés à des personnes dont les revenus sont trop faibles. Si on s’intéresse à l’argent uniquement, le flux des loyers c’est en moyenne des locataires pauvres qui paient des propriétaires aisé·es… Pour Bruxelles, cela représente au moins 2,7 milliards d’euros chaque année. Je sais qu’il est déprimant, ce texte. Les expulsions c’est déprimant. Mais dans la capitale de l’Europe, ça a lieu tous les jours.
Je n’ai pas de programme politique, pas une seule solution facile à proposer, mais les loyers doivent baisser et le logement comme espace de vie doit être protégé. Et nous sommes nombreuses et nombreux à avoir besoin et envie que les choses changent. Certain·es d’entre nous sont membres du Front Anti-Expulsion, d’autres s’investissent dans des syndicats ou des unions de locataires, et d’autres encore aident leurs voisin·es à payer les 50 euros de loyer qui manquent. Toutes et tous nous sommes une force en mouvement contre cette précarité.
SURVIVA FOR LIFE OU « LA MAISON DETTES »
Une performance clownesque de Sébastien Gratoir
Cette petite performance clownesque/burlesque est née de plusieurs mois, réunions de discussion et d’écoute des « expert·es du vécu » autour du surendettement et de professionnel·les les accompagnant. Bien sûr l’image de l’asphyxie de la pièce Apnée a inspiré l’enfermement dans une boite, le manque d’air. Mais au-delà de cette forme, les témoignages traduisaient beaucoup de solitude, d’enfermement chez soi mais aussi dans les préjugés des autres. La honte amène à se cacher, à avoir peur de l’autre, des voisin·es, de la factrice, du facteur, d’un éventuel huissier et finalement de n’importe quel courrier. Les partages de trucs et astuces ainsi que d’« anecdotes » qui font au départ rire (jaune) montrent la violence de l’enfermement. Ne plus sortir, ne plus répondre à la sonnette, faire semblant d’avoir un chien méchant pour faire peur à l’huissier, rendre immobilier le mobilier en fixant des objets aux murs ou au sol pour ne pas se les faire saisir, en cacher d’autres dans les jouets d’enfants qui ne peuvent pas être saisis, lancer par la fenêtre ce qu’on ne veut pas perdre…
Le public est témoin de cela et voit le comédien derrière une vitre, un des quatre murs de ce petit espace de jeu comme dans le cube de l’émission RTBF « Viva for life », mais le personnage joué ne les voit pas. Il cherche juste à comprendre qui est derrière la porte à travers ses entonnoirs (le facteur ? Une dette de plus ?). Ces manipulations du comédien évoluent sur le rythme d’une bande sonore très répétitive mêlant notes de basse faisant penser à une musique d’attente plutôt… stressante, des bruitages de caisse enregistreuse, de sonnette de porte, de courriels, de toc-toc sur la porte, d’aboiements et finalement de bruit de foule médisant sur cet endetté.
Tout cela en crescendo. L’angoisse monte avec la densification des sons, des courriers, des nouvelles. Les solutions sont de plus en plus farfelues (où cacher son poisson, son œuf ?) voire délirantes tant tout cela rend fou. En plus des nombreuses enveloppes, vrais courriers de rappels, de lettres de juges à terre, des dettes pouvaient être « postées » par le public. Celui-ci pouvait y retranscrire une vraie dette vécue ou en inventer une avec un objet, un montant et le tarif du rappel. Une façon d’extérioriser le « trop chère la vie » et/ou une manière de voir comment le comédien allait réagir ? Le public pouvait également sonner à sa porte pour « l’activer ». Alors que le personnage essaie de gérer au départ, il ne tiendra plus sur la fin et montrera quelques indices de violence à venir sur la personne derrière la vitre, foreuse et marteau à la main… Les dettes à la place des dons, survivre plutôt que vivre… Un tout petit bout partagé de cette expérience avec ces personnes qui ont créé la semaine « Trop chère la vie ».

© Esquifs
Ce paragraphe est largement inspiré du livre de Peter Marcuse et David Madden, In defense of housing.The Politics of Crisis (Verso, 2016), dans lequel ils expliquent la notion de sécurité ontologique.
Ici je ne raconterai que celles qui concernent des endettements, mais un nombre important d’expulsions a lieu sans que les locataires aient fait défaut de quoi que ce soit.
Toutes ces informations sont issues d’un travail réalisé par l’Observatoire de la santé et du social en 2019. Voir aussi la récente étude « Les expulsions de logement à Bruxelles : combien, qui et où ? », Godart et al., BrusselsStudies, 2023.
Marion Englert, « La problématique du surendettement en Région bruxelloise, conséquence et facteuraggravant de situations de pauvreté », Observatoire de la santé et du social, 2020.
Voir à ce sujet l’étude réalisée par le RBDH, « Justice de paix : bailleur welcome ! Locataire welcome ? », 2021.