Ouvrage collectif Hopi’Conte, Bruxelles, 2018, 224 pages.
Cette note de lecture est extraite du Neuf essentiels sur l’art, le soin et les milieux de soins, Culture & Démocratie, 2018.
Hopi’Conte est un projet pionnier qui a débuté à Bruxelles en 1993, et a pris la forme d’une asbl en 1995. Il rassemble onze conteuses qui, depuis vingt-cinq ans, racontent des histoires aux enfants dans les lieux de soins, d’accueil et d’enfermement. Le saut de la grenouille est né de leur désir de transmettre leur pratique. C’est un livre polyphonique où se croisent les voix des conteuses Anne Henrion, Claire Goethals, Marie-Thérèse Lebrun, Cécile Swaeles, Françoise Van Innis, Patricia Kawa, Christine Delwart, Katicha De Halleux, Peggy Snoeck et Sylvie Monchin, mais aussi celles d’autres auteur·e·s connu·e·s ou inconnu·e·s de contes, poèmes et essais dont les extraits choisis émaillent les pages du livre.
Les auteures le précisent dans le préambule : Le saut de la grenouille est leur tentative de faire mieux comprendre et ressentir leur travail de conteuses, au départ uniquement dans les hôpitaux, mais par la suite aussi dans des pouponnières, des prisons, des institutions spécialisées, des centres pour demandeurs d’asile et des maisons de repos. Il ne s’agit pas d’un ouvrage académique ou d’une étude, mais bien d’une collection de courts textes qui cherchent à exprimer une expérience sensible : celle de la rencontre entre une conteuse et ceux ou celles qui l’écoutent dans des lieux où sa présence n’est pas toujours attendue, des lieux de souffrance, souvent, physique ou morale. Les témoignages sont plutôt du côté de l’intime, du ressenti et tentent de transmettre quelque chose des émotions qui traversent aussi bien la conteuse que l’enfant ou le parent qui l’écoute. Ils évoquent les motivations, l’engagement des conteuses lorsqu’elles décident d’aller raconter dans des contextes difficiles comme ceux des lieux visités par Hopi’Conte, ce qui les anime, les ressources dans lesquelles elles puisent, la richesse et la diversité des rencontres qui les nourrissent, mais aussi, parfois, l’amertume ou la remise en question qui suit l’une ou l’autre expérience négative. En suivant le parcours singulier de ces conteuses – dans la réussite ou dans l’échec –, on découvre la réalité parfois très dure de ces lieux. On perçoit aussi des aspects de leur pratique qui sont partagés par celle d’autres artistes intervenant en milieu de soins : le difficile équilibre à trouver dans les relations croisées entre les soignant·e·s, l’artiste, la personne qui reçoit les soins et les proches qui l’entourent; l’importance de se préparer et de se donner des balises professionnelles, de réfléchir à sa pratique et de partager cette réflexion avec des pairs, éventuellement avec un ou une psychologue ; mais aussi la nécessité, pour tenir et faire sens, d’être habité·e avant toute chose par l’envie de partager l’émotion d’une histoire, la beauté d’un mouvement de danse, d’un chant, le plaisir de dessiner, de rire. C’est bien ce dernier ressort qui anime avant tout les conteuses d’Hopi’conte et non un désir de soigner.Citant Marc Laberge qui écrit dans le recueil de contes Ma chasse-galerie «Dessiner des souris qui libèrent les hommes, voilà ce que font les conteurs », elles ajoutent: «Voilà aussi ce que nous faisons dans une forme d’improvisation qui n’en est pas. Les paroles, les images, les voyages que nous proposons sont souvent ces petites dents qui grignotent les liens qui retiennent l’enfant dans sa réalité de malade, lui permettent de s’évader de sa chambre et de voyager avec les images qu’il a gardées de nos contes. » (p. 87)