Le champ des migrations est un des axes de travail de Culture & Démocratie depuis maintenant plusieurs années. Dès 2016, alors que l’Europe vit ce qui sera souvent appelé « la crise migratoire », que l’on voit apparaitre des camps de fortune à Paris, Calais ou encore au parc Maximilien à Bruxelles, Culture & Démocratie s’associe à la revue française L’insatiable (héritière de Cassandre/Horschamp) pour créer une publication culturelle sur l’Europe et les migrations, dénommée Archipels. Cette initiative éditoriale entend créer un espace francophone d’exploration des nouvelles configurations de l’art et de la culture comme levier démocratique, mais aussi comme principe actif et structurant de la vie en commun, dans le contexte des migrations. Alors que la migration est trop souvent médiatiquement abordée de façon mortifère, où la peur prend le dessus sur la solidarité et la fraternité dont partout l’humain est capable, il nous semblait nécessaire de tenter de modifier les représentations. Dans ce premier numéro d’Archipels, la journaliste Valérie de Saint-Do abordait déjà la notion d’encampement du monde au travers d’un entretien avec Michel Agier, puis au fil de son article « Depuis le camp, repenser la ville ». La « crise de l’accueil » entretenue par les États, qui organisent l’invisibilisation des demandeur·ses d’asile en ne leur offrant pas même l’hospitalité la plus élémentaire, et dont parle Alessandro Mazzola dans les pages de ce Cahier (p. 31), y était déjà abordée.
Une année plus tard, à l’automne 2017, parait le deuxième numéro d’Archipels, intitulé « Langues d’exil ». Ce numéro poursuit le travail de repérage et de mise en valeur de diverses pratiques d’artistes, de compagnies, d’associations qui s’emparent de la question migratoire pour faire apparaitre le visage hideux d’une humanité qui refuse l’autre. La pensée d’Édouard Glissant qui affirme qu’un possible où « des différences s’ajoutent sans se détruire, et des identités varient en ne dépérissant pas », est le fil rouge de cette publication. Ici encore, si la thématique du camp n’est pas exactement centrale, on trouvera notamment un entretien avec Nicolas Autheman par Pauline Perrenot intitulé « “Gérants” d’exil », qui questionne la surabondance d’images journalistiques mais aussi de projets artistiques menés à Calais et qui, selon lui, véhiculent une image « fétichisée » des réfugié·es. L’artiste Hamedine Kane reviendra également sur cette question en page 41.
En 2018, alors que le projet de la revue Archipels ne peut être poursuivi, Culture & Démocratie souhaite continuer l’exploration de ce champ thématique. L’association édite alors un premier numéro hors-série de son Journal avec le collectif Kom.post. Le focus de celui-ci sera « Villes » : qu’en est-il de ces villes traversées par ceux et celles qui y cherchent un abri, ceux et celles qui le leur refusent – États, institutions ou citoyen·nes ordinaires – ou au contraire, par ceux et celles qui se lèvent pour inventer les formes citoyennes de l’accueil ? Comment les solidarités institutionnelles – nationales et européennes – cèdent-elles le pas aux solidarités privées et citoyennes, privilégiant l’enfermement qui « cache » et l’expulsion qui prétend régler le tout ? Baptiste De Reymaeker y interrogeait la sociologue Isabelle Coutantn, autrice de l’ouvrage Les migrants en bas de chez soi, qui fut ensuite invitée à intervenir lors du colloque « Habiter l’exil » (voir p. 19).
En 2019, nous décidons d’éditer un nouveau numéro hors-série du Journal de Culture & Démocratie. Le focus choisi est « Camps » : quelles formes de camps existent dans le monde et ont existé à travers l’histoire ? Qui y vit ? Comment y vit-on ? Quel·les sont les acteur·rices de ce système ? Qui les gère ? Quels liens entre gestion humanitaire et héritage colonial ? Que désigne le terme de « gouvernement humanitaire » ? Quel business génèrent ces lieux ? Quelles formes de vie, quelles solidarités s’y inventent ? Pensé en collaboration avec Arsenic2 et le collectif de théâtre NIMIS groupe (pour soutenir et alimenter leur démarche prospective sur la thématique des camps en vue d’une création théâtrale à l’horizon 2022), ce dernier numéro est le résultat de multiples rencontres, lectures et réflexions communes.
Culture & Démocratie n’est évidemment pas la seule à penser ces sujets. C’est ainsi que nous nous sommes associé·es à l’automne 2019 au Centre Bruxellois d’Action Interculturelle (CBAI), au Centre Librex et à PointCulture autour d’une envie commune d’organiser un colloque sur la question des camps et, à travers elle, de l’hospitalité en général. Trois jours d’évènements sous le titre « Habiter l’exil » ont alors été développés en commun. La programmation incluait, le jeudi 10 octobre 2019 au cinéma l’Aventure à Bruxelles, la projection du film documentaire Paris-Stalingrad de Hind Meddeb dont Pascal Peerboom nous parle dans l’article « Paris Stalingrad, les raisons de la colère », en page 10 de ce Cahier. Le lendemain se tenaient à La Bellone deux tables rondes suivies d’une conférence de Michel Agier, dont ce Cahier vous livre l’intégralité des actes. Le samedi 12 octobre fut une journée de mise en évidence d’associations de terrain, accompagnée d’un grand banquet au PointCulture Bruxelles. Avec cet évènement, PointCulture inaugurait sa saison thématique « Migrer », dont il est question dans le texte de Pierre Hemptinne en page 7. Y fut également projeté le film VNous de Pierre Schonbrodt, sur lequel Luc Malghem revient avec beaucoup d’engouement dans « VNous ou la cinégénie du bien », page 13.
À lire également en annexe, un entretien avec Michel Agier réalisé par la journaliste Martine Vandemeulebroucke. Cet entretien reprend en synthèse les idées développées par Michel Agier lors de la conférence reprise en intégralité à partir de la page 50. La lecture de cette annexe peut aussi constituer une première entrée intéressante dans la pensée de l’anthropologue. En annexe également, se trouve une présentation de l’asbl La Petite Maison, présente à La Bellone où elle a ravi les papilles des participant·es avec ses plats mijotés, et à PointCulture où elle menait un atelier en tant qu’association de terrain.
Enfin, les illustrations de ce Cahier sont les croquis réalisés en direct par le collectif Medex – Musée éphémère de l’exil – lors de la soirée de débats. Ces œuvres étaient accrochées au fur et à mesure sur les murs de La Bellone. Vous trouverez une présentation de ce travail par Renaud-Selim Sanli, page 69.
Cet entretien avec Isabelle Coutant, intitulé « La peur émerveillée du monde » et paru dans le hors-série 2018 du Journal de Culture & Démocratie – « Villes », est disponible en ligne ici.