Les Midis de la Poésie existent depuis plus de 70 ans. On dit que c’est une institution qui compte dans le paysage culturel bruxellois. Une association sans but lucratif œuvrant pour que la poésie existe, envers et pour tous. La poésie, c’est un combat, une lutte, une résistance au quotidien. Aux Midis, nous organisons des rencontres avec peu de moyens.
Depuis plusieurs années, nous essayons de mettre en place des projets, en parallèle de la programmation principale, pour que les gens, sensibles ou non à la poésie, aient un espace où dire et vivre un moment de poésie. Nous souhaitons prendre notre distance avec le monde conceptuel souvent au cœur de la poésie contemporaine pour nous raccrocher au monde réel, nous adresser à tout le monde et faire en sorte que la poésie ne soit plus réservée à une partie privilégiée de la population.
La poésie, qui est sans doute un animal préhistorique est aussi une espèce en voie d’apparition. Elle n’a pas de difficulté à se connecter à d’autres mondes possibles pour elle.
Dans ce sens, nous avons mis en place des ateliers créatifs transdisciplinaires, les « petits goûters de la poésie ». Ceux-ci ont lieu le samedi après-midi et la poésie est le fil rouge qui relie des binômes d’artistes (comédiens, créateurs sonores, danseurs, illustrateurs, auteurs, etc.) avec les participants, de tout âge et de toute origine, pour partager et expérimenter ensemble un moment de poésie active et citoyenne. Nous proposons aussi, depuis 2017, des ateliers de poésie connectée, ateliers de sensibilisation à la poésie de 2 heures dans les classes du secondaire à Bruxelles et en Wallonie. Grâce à un subside spécifique et exceptionnel, nous pouvons donner gratuitement 20 ateliers de sensibilisation à la poésie pour renforcer le plan lecture initié en Fédération Wallonie-Bruxelles. Ce projet pilote d’action dans les écoles et dans les associations (maisons de quartier, centre culturels, etc.) est temporaire et limité dans le temps.
Nous ne savons pas encore si nous aurons les moyens de le reconduire l’année prochaine, mais ce qui est sûr, c’est qu’il y a une demande réelle que notre institution sorte de ses murs et aille à la rencontre des gens pour parler, écrire et échanger sur la poésie. Ce qui se passe à chaque rencontre est à la fois fort et unique. C’est de la poésie connectée à la vraie vie. Les échanges, les paroles dites et écrites sont retranscrites sur de petites fiches de différentes couleurs. Ensuite, ces petites fiches sont photographiées et postées très simplement sur les réseaux sociaux. Ce chemin de la rencontre physique, d’une discussion sur le rôle de la poésie aujourd’hui, de l’écriture manuscrite au partage de quelques phrases écrites à voix haute fait complètement sens, tant pour les participants que pour ceux qui animent les ateliers. Un livre papier sera réalisé à la fin des rencontres pour garder une trace de ces fragments poétiques uniques.
Dans ce qui suit, je vous propose de lire deux voix qui s’entremêlent : celle de Aliette Griz, l’animatrice des ateliers de poésie connectée et celle de Victoire de Changy, chargée de communication aux Midis de la Poésie et écrivaine, témoin et regard extérieur d’un atelier dans une classe de 6e secondaire. J’espère, par cette approche, vous faire vivre au plus près un atelier de poésie et vous faire ressentir ce qu’il produit. Ce moment où la personne, jeune ou moins jeune, s’autorise à écrire de la poésie en réalisant qu’elle a la légitimité pour le faire. Ce moment de partage et d’intimité que la littérature et les mots rendent encore possible. Ce moment où la vie a du sens, grâce à l’écriture et à la poésie. Ce moment de poésie concrète et ce combat pour que la poésie soit partout, et pour tou-s-tes.
Témoignages d’Aliette Griz & Victoire de Changy
Il leur faut sept minutes et trente-neuf secondes pour définir ce que peut vouloir dire, pour eux, du haut d’eux, la poésie. J’entends toutes ces voix qui répètent le même mot, ces voix qui tâtonnent, les rares bien établies et toutes les autres perchées entre le grave et l’aigu. Ils rient beaucoup, baissant la tête comme si, ce faisant, ils pouvaient cacher l’hilarité derrière les autres rangées. Ils communiquent entre eux en écrivant au marqueur sur la tranche interne de leurs classeurs.
Depuis six mois, je donne des ateliers de poésie connectée aux élèves des écoles du secondaire à Bruxelles. Je leur parle de poésie et de connexion, deux choses qu’ils ne lient pas forcément, mais qui ont un rapport. La poésie, c’est une voix qui lie, aussi. Quelque chose qui s’impose, en tout cas. Et qui ne disparaît jamais. La poésie, qui est sans doute un animal préhistorique est aussi une espèce en voie d’apparition. Elle n’a pas de difficulté à se connecter à d’autres mondes possibles pour elle.
« Parfois, je voudrais sauver la terre, parfois je voudrais la voir brûlern. »
Le projet est tourné vers l’école, mais sans visée académique. Je n’ai pas de formation d’enseignante, j’y vais avec l’idée de leur montrer quelque chose qui est proche d’eux mais qu’ils ne voient pas forcément. Quelque chose qu’on cherche ensemble. On peut prendre du temps pour écrire de la poésie. Certains me disent qu’ils ont déjà écrit des poèmes. D’autres écrivent des blogs. Ce n’est pas si éloigné. Mais pendant deux heures, on entend poésie au sens de prise de parole. On ne hiérarchise pas ce qui se dit. C’est un risque à prendre, de les mettre à égalité devant les mots, de ne pas les juger. On est des poètes égalitaires qui se fondent sur la toile à coups de #, avec l’humilité qu’il faut pour ça.
« Le sourire est une arme, je suis calibré, je ne lis pas de bouquin. »
Dans la bande, il y en a une qui avoue : j’écris. Je voudrais écrire. Je voudrais être écrivain. Pour se justifier, elle baisse les yeux, elle dit : c’est parce que papa fait ci, et maman ça. Je suis dedans depuis toute petite. Celle-ci sera la seule qui, plus tard, signera son poème.
Je voudrais que les élèves se sentent emportés dans un mouvement qui est là, pas loin d’eux dans la ville et qu’ils peuvent contribuer à générer. La Belgique est un pays très poétique. Elle est contradictoire, elle regorge de projets plus ou moins officiels qui s’ignorent les uns les autres, en tombant sur elle comme des gouttes d’une pluie toujours renouvelée. La poésie est une activité qui ne perd pas une miette de ce qui l’entoure. Les poètes, dans la Grèce antique, avaient le rôle de transmettre, par la parole et le chant, les histoires des Dieux. C’est cette vocation ambulante qui m’intéresse, avec l’idée que ce sont les élèves et leurs mots qui remplaceront la parole des Dieux.
« Mon esprit sur une autre planète, mon corps est le seul à répondre présent. »
La poésie engagée, elle mobilise la communauté. Elle a cette particularité d’appuyer. Parfois dans le dos, pour l’élan, parfois là où ça fait mal. Il y a celle qui pleure quand on parle de mère. Pas pour la sienne, de mère, mais par empathie pour l’autre, particulièrement pour sa voisine de droite, qui a perdu sa mère la semaine dernière.
Parler de poésie à l’école sera ainsi la possibilité de donner une mission aux élèves. J’aime l’idée qu’eux aussi soient des poètes à la seconde, à la minute ou à l’heure. La poésie connectée n’a pas peur de l’anonymat des fiches, des mots griffonnés. Chaque tentative permet de lancer quelques coups de pieds au conformisme et lui présenter un visage toujours jeune et ironique. Les élèves rencontrés pendant les ateliers de poésie connectée font œuvre collective. Parce que nous sommes tous des maillons pas toujours liés d’une unité pas vraiment définie.
Ce qui mobilise ? La peur, la violence de l’actualité. Les élèves s’appliquent en écrivant leurs acrostiches, soufflent sur leurs fiches colorées pour que l’encre sèche plus vite. Sur le tableau, on peut lire : quatre fois le mot ATTENTAT, trois fois le mot TERRORISME. Un seul PAPA, une seule FAMILLE. Il y en a deux qui, dans la classe, ont choisi d’écrire à la verticale le mot INSOMNIE. L’idée me surprend : à notre époque, même encore enfant, on ne dort plus comme un enfant. On demande : qui, parmi vous, ne dort pas très bien ? Dix mains se lèvent. Tous se regardent. Cohésion dans les petites douleurs individuelles, soudain. Ils se reconnaissent, ils ne sont plus seuls.
« Ceci n’est pas un atelier d’écriture, c’est une prise d’otages. »
Toutes les citations sont tirées des ateliers.