Les origines du totalitarisme – Hannah Arendt
Roland de Bodt, chercheur et écrivain
Hannah Arendt nous emmène à la recherche des ferments sur lesquels se forme la « culture totalitaire », c’est-à-dire la culture par laquelle la domination totale des sociétés humaines peut-être conçue, formulée et organisée. Devant les charniers de l’histoire au XXe siècle – les camps industriels de la mort de 1939-45 mais pas seulement, ceux des tranchées de 1914-18 qui ont servi de laboratoire « grandeur nature » aux essais des nouvelles technologies industrielles de la destruction totalen, aux premières armes chimiques aussi, ceux de 1936 en Espagne, encore – elle pense, elle se demande ce que cela signifie en réalité de penser et ce que la pensée peut réfléchir de l’innommable de la « domination totale » ; elle doute, elle écrit enfin dans l’urgence. Dans l’urgence, portée par quelque espérance ; celle de faire place aux lumières dans l’obscure détresse de ces anéantissements scientifiquement raisonnés.
LES ORIGINES DU TOTALITARISME
Hannah Arendt,
Traduit de l’anglais.
Gallimard, Collection Quarto, 2002, 1632 pages.
Avertissement
Hannah Arendt est à la culture de la politique ce que Marguerite Duras est au roman ; mais encore ce que Claire Lejeune est à la poésie et à l’essai, ce que Rosa Luxembourg est à l’engagement rougeoyant pour la cause commune, ce que Marguerite Yourcenar est au labyrinthe des alchimies de la littérature belge d’expression française, ce que Simone Signoret est aux lumières du septième art, dans un monde dominé par les hommes: un « monstre sacré »n ; l’incarnation d’une sensibilité exigeante qui s’origine dans la conscience de sa fragilité qui en éprouve les pièges et en assoit l’avantage; qui assure sa raison au gré de chacune de ses élévations dans l’escalade des chutes où l’humanité se précipite aveuglément sous l’emportement de ses passions avides; qui ouvre pour nous des fenêtres d’intelligence sur le non-formulé, l’incommunicable et l’incommuniqué de la condition humainen.
Ce que connait la lune, le soleil ne peut seulement le soupçonner : la face obscure de la nuit terrestre, sous les envoutements étoilés, à l’aune d’une lumière diaphane. Ai-je été ébloui ? Est-ce une dommageable trahison de concéder les intimes tremblements qu’occasionne l’éveil de la conscience à l’orée de la forêt des entendements mordorés où nous invite Hannah Arendt ?
Elle crée des chemins de liberté sous les tilleuls centenaires de la révolution d’où elle nous interpelle, au-delà des hautes futaies d’épines du non-formulé et des palissades fardées du non-dit de son temps, dans le silence suspendu où résonne de loin en loin l’évanouissement d’un orage si totalisant que la souffrance en paraissait sans fin ? Devant les charniers de l’histoire au XXe siècle – les camps industriels de la mort de 1939-45 mais pas seulement, ceux des tranchées de 1914-18 qui ont servi de laboratoire « grandeur nature » aux essais des nouvelles technologies industrielles de la destruction totalen, aux premières armes chimiques aussi, ceux de 1936 en Espagne, encore – elle pense, elle se demande ce que cela signifie en réalité de penser et ce que la pensée peut réfléchir de l’innommable de la « domination totale » ; elle doute, elle écrit enfin dans l’urgence. Dans l’urgence, portée par quelque espérance ; celle de faire place aux lumières dans l’obscure détresse de ces anéantissements scientifiquement raisonnés. Tout ce qui se veut bien-pensant lui semble suspect, y compris à son propre détriment; la pensée se doit d’être critique – c’est pour elle une nécessité vitale; et dès lors pour parler de la politique, il convient d’abord de reconnaitre et d’examiner nos préjugés au regard de la politique, elle-même.n
Peut-on parler d’Hannah Arendt comme d’un amour de jeunesse ? Est-ce pécher? Sinon l’aveu d’un parti pris durable ? « Faute avouée est à moitié pardonnée » soutient un proverbe de culture chrétienne ; voyons donc, à présent, ce que l’autre moitié nous réserve. Tout bien considéré, y a-t-il vraiment « faute » ? Et comment mesurer l’extraordinaire fidélité au genre humain dont il fallait être animée pour décrire l’indicible et entrer de plain-pied et tout de suite dans l’incompréhensible de l’humanité, au sortir de la guerre? Aux premiers jours de la paix: Que s’est-il passé? Pourquoi cela s’est-il passé ? Comment cela a-t-il été possible ?
Présentation de l’édition
L’ouvrage Les origines du totalitarisme, dont le titre original est The origins of Totalitarianismn, comporte trois parties distinctes dont les deux premières ont été écrites dans les premières années qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, entre 1944 et 1947. La troisième est plus tardive. Le manuscrit de l’ensemble est rédigé dès 1949 et la publication originale, des trois parties en un seul volume, est éditée à New York en 1951. Cette édition sera revue et complétée par l’autrice en 1958, 1966 et 1968. L’introduction – rédigée par Hannah Arendt pour l’édition de 1966 – est intégrée au troisième volume de l’édition de poche et justifie le projet éditorial d’ensemble et les nécessités de ses ajustements, au fil de sa réception.
La première partie dont le titre original est Antisemitism a été traduite en langue française par Micheline Pouteau et publiée en un volume distinct par les éditions Calmann-Lévy en 1973, sous le titre Sur l’antisémitisme.
La seconde partie dont le titre original est Imperialism a été traduite en langue française par Martine Leiris et publiée en un volume distinct par Fayard en 1972, sous le titre L’impérialisme.
Le troisième volume dont le titre anglais est Totalitarianism a été traduite en langue française par Jean-Loup Bourget, Robert Davreu et Patrick Lévy et publiée en un volume distinct par les éditions du Seuil, en 1972, sous le titre Le Système totalitaire.
Une édition de la traduction française en trois volumes, au format poche, révisée par Hélène Frappat, est donc accessible aujourd’hui dans le catalogue général des éditions Points.Je mentionne cette édition pour que chacune et chacun puisse accéder à cette œuvre au format poche mais ce n’est pas l’édition que j’utiliserai pour cette notice. En effet, dès 2002, ces traductions françaises des trois parties des Origines du totalitarisme ont été regroupées en un seul volume, par les éditions Gallimard dans la collection « Quarto». Cette nouvelle édition a été établie sous la direction de Pierre Bouretz, directeur d’études à l’École des Hautes études en Sciences sociales (Paris). Elle comporte 32 documents (1632 pages) de l’œuvre d’Hannah Arendt, en traduction française, dont plusieurs textes ultérieurs qui montrent comment la pensée d’Hannah Arendt a évolué à propos du totalitarisme et divers extraits de correspondances avec des intellectuel·les de son temps qui complètent utilement la lecture. De surcroit, le volume comporte également l’essai consacré à « Eichmann à Jérusalem – rapport sur la banalité du mal» (1963). Je dois reconnaitre que ce qui a déterminé définitivement mon choix tient non seulement à l’intérêt de cette édition complétée qui comporte l’ensemble des préfaces, introduction et textes connexes rédigés par l’autrice mais plus particulièrement aux contributions introductives de Pierre Bouretz qui constituent – c’est mon point de vue – un modèle exceptionnel dans l’approche scientifique de ces productions littéraires. On trouvera en supplément (pages 93 à 140) une chronologie déjà très complète de la vie d’Hannah Arendt, illustrée de portraits et de documents d’époque, qui est particulièrement bien conçue et permet de mieux mesurer les imbrications de la vie et de l’œuvre de l’autrice. Le projet éditorial remarquable de ce volume comporte également une bibliographie très étoffée et deux index soignés, l’un consacré aux actrices et acteurs de cette histoire, l’autre consacré à l’analyse des thèmes abordés.
Présentation de l’autrice
Je ne vais certainement pas me lancer dans une présentation originale d’Hannah Arendt et je renvoie volontiers à l’introduction de Pierre Bouretz précitée. Par contre, il me parait nécessaire de justifier de mon intérêt pour l’autrice. Hannah Arendt s’est intéressée à des questions qui me préoccupent. Dans les diverses œuvres dont j’ai pu prendre connaissance, elle développe à sa manière une approche culturelle des questions qu’elle traite. Je suis loin de partager toutes les considérations qu’elle émet mais je dois reconnaitre que ces formulations m’obligent à réfléchir par moi-même aux diverses questions qu’elle aborde dans ces livres : la question de la culture dans La crise de la culturen, celle de la politique notamment dans Qu’est-ce que la politique ?n, celle de la révolution dans son essai sur ce thèmen, celle de la pensée dans La vie de l’espritn, de la liberté dans La liberté d’être libre,n de l’humanisme dans la plupart de ses œuvres, de la faculté de juger dans Juger – sur la philosophie politique de Kant, etc. Sa manière de poser les jalons de ses propres réflexions m’aide à penser par moi-même que ce soit dans l’adhésion à ses vues ou dans la distanciation. Et cela la rend parfaitement indispensable à mes yeux.
Et pour dire les choses en quelques mots : qu’on soit d’accord ou pas avec les points de vue qu’elle adopte et les analyses qu’elle conduit tout au long, l’œuvre d’Hannah Arendt est d’une ampleur magistrale et ceci peut se démontrer tant par l’homogénéité des cheminements de la pensée par laquelle elle relie la diversité des questions culturelles, politiques, éthiques et sociétales dont elle s’empare que par l’étendue des investigations qu’elle y déploie, à l’intérieur de ces questions elles-mêmes.
La traduction en langue française est relativement tardive, vingt années (1951 à 1971) – et quelles années ! – séparent la sortie de l’édition originale de sa première traduction en langue française. Et la traduction en français de l’ensemble de son œuvre ne cessera de s’amplifier vingt ans après sa disparition, à partir de la fin du XXe siècle. Hannah Arendt n’a pas vraiment connu de son vivant la large réception de sa pensée, dans le monde francophone ! Ni les critiques qu’elle éveille ni les engouements qu’elle suscite.
Au terme des recherches que j’ai pu établir – n’étant pas un spécialiste de son œuvre – je n’ai trouvé ni une histoire critique de la traduction de son œuvre en langue française ni un inventaire comparatif des éditions anglaises (américaines) et françaises qui permettrait de déterminer explicitement où on en est, près de cinquante années après sa disparition. Considérant cette situation éditoriale, le travail réalisé par Pierre Bouretz et son équipe, offre à l’orée de ce vingt-et- unième siècle, une montée en puissance tout-à-fait bénéfique à la découverte, à la promotion et à la connaissance de cette œuvre magistrale.
Commentaire
Hannah Arendt nous emmène à la recherche des ferments sur lesquels se forme la « culture totalitaire », c’est-à-dire la culture par laquelle la domination totale des sociétés humaines peut-être conçue, formulée et organisée. C’est pour moi la grande originalité de ce triptyque de l’autrice de prendre au sérieux, de partir à la recherche et d’explorer les formes culturelles par lesquelles l’esprit de la domination totale s’érige comme mode de soumission généralisée des populations.
Ainsi, l’ouvrage qu’elle publie traite des « origines » et non des « causes» du totalitarisme. La distinction n’est pas innocente. Hannah Arendt fait sienne la réflexion sur le pseudo-déterminisme de l’histoire. Question du rapport à l’histoire qui avait fait l’objet de débats non seulement politiques mais également académiques particulièrement vifs entre les deux guerres et durant la Seconde Guerre mondiale.
En effet, l’utilisation de l’histoire comme justification d’un incontournable déterminisme de l’action politique fait partie des stratégies de légitimation de l’instauration d’un ordre nouveau dans la domination des populations. Dans leur rhétorique de séduction, de conviction et d’aveuglement des masses, les régimes totalitaires ont eu recours à cette « logique » de l’histoire comme « cause» des aspirations et des choix politiques auxquels ils prétendaient. La possibilité d’une constitution de la connaissance historique comme science était très récente: elle s’établit progressivement à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle.
L’instrumentalisation à des fins politiques des acquis récents de cette science historique nouvelle était un enjeu majeur pour asseoir la légitimité des régimes politiques au début du XXe siècle. L’utilisation de cette « logique » historique permettait d’ancrer les inventions politiques nouvelles – et Hannah Arendt travaille à démontrer comment le totalitarisme est pleinement une création culturelle inédite – dans un pseudo enchainement des causes aux effets de l’histoire. Il y a donc des sources culturelles où s’origine le totalitarisme mais en aucun cas ces éléments d’histoire ne constituent des « causes efficientes» dans la structuration des systèmes totalitaires. Le totalitarisme est un fait politique inconnu qui émerge entre deux guerres et transforme en profondeur le rapport des populations à la culture, à l’histoire, à la politique, aux sciences, à la morale, à l’intimité, au collectif, à la violence, à la domination, etc.
Il est difficile pour nous de mesurer combien, dans cette période de fin de guerre et de reconstruction, les informations et les commentaires qu’elles suscitent sont abondants et contradictoires posent des problèmes magistraux à l’interprétation des faits historiques, sans qu’une théorie de ces questions ne soit encore établie. C’est à cet endroit précisément, où la nécessité d’établir une théorie du phénomène totalitaire, dans la diversité de ses origines, de ces manifestations et de ses conséquences s’impose à elle qu’Hannah Arendt entreprend d’écrire ce grand ouvrage auquel elle reviendra durant pratiquement toute sa vie (voir extrait).
Cette exploration des conditions de l’émergence du totalitarisme comme invention d’une aspiration et d’une forme nouvelle de « domination totale » de la société est l’objet du voyage auquel nous convie Hannah Arendt aux origines du totalitarisme.
De l’antisémitisme
À septante-cinq ans de distance, nous devons nous efforcer de replacer l’initiative d’Hannah Arendt dans son contexte historique ; les analyses et les idées-forces de cette première partie se sont formées pendant la Seconde Guerre mondiale, voire bien avant lorsqu’elle-même a été confrontée à la montée du nazisme en Allemagne ainsi qu’à la propagande antisémite de ce régime, qu’elle a documentée et aussi combattue, dès 1933, puis à l’exil dès l’été de la même année. La première rédaction a été finalisée entre 1944 et 1947, c’est-à-dire parallèlement à la « découverte » des camps par l’opinion mondiale (1944-1945), aux préparatifs et au déroulement du procès de Nuremberg qui a jugé des principaux responsables de ce régime (1945-1946); c’est-à-dire avant la création de l’État d’Israël (1948) et avant l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’être humain (1948) par la nouvelle (ré)organisation des Nations-Unies.
Il apparait comme pleinement légitime qu’au moment d’entreprendre un travail d’ampleur sur la question de la « domination totale» – telle qu’elle a été pratiquée par le régime nazi, telle qu’Hannah Arendt en a fait l’expérience et telle qu’elle en découvre les conséquences si désastreuses et si spécifiques pour la communauté juive toute entière – au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la question de l’antisémitisme vienne en premier lieu, comme une porte d’entrée par l’Enfer (si on se réfère à la comédie de Dante), dans l’analyse du phénomène totalitaire.
Aussi, cette première partie présente un intérêt historique d’exception, même si, septante-cinq ans plus tard et compte tenu de l’histoire de la seconde moitié du XXe siècle et du premier quart du XXIe siècle, une approche du phénomène totalitaire ne pourrait plus être ouverte prioritairement par cette porte d’entrée spécifique. C’est donc dans la reconnaissance de sa singularité historique que cette première partie offre ses plus beaux fruits à une lecture, aujourd’hui.
De l’impérialisme
De mon point de vue, c’est la partie qui a le plus d’actualité même si la question de l’impérialisme ne se pose plus du tout pour nous de la même manière. D’abord, je voudrais saluer cette liberté de reconnaitre d’emblée le rôle de l’impérialisme dans la formation de la culture totalitaire et de reconnaitre de surcroit la fonction du racisme dans la formation de cette culture impérialiste. L’analyse de « la pensée raciale » reste magistrale, jusque dans la finesse de ses diverses articulations. La mise en exergue du phénomène bureaucratique comme organe de la domination impériale. L’embarras dont les libertés et les droits de l’être humain sont l’objet, sous la configuration de cette culture.
Tout ceci mérite pleinement d’être lu, réfléchi, débattu, interrogé, critiqué, actualisé et reformulé aujourd’hui, pour qu’à travers les suscitations où nous entraine Hannah Arendt nous puissions nommer les formes culturelles des dominations dont nous sommes l’objet, dans le temps présent.
Du totalitarisme
En me replongeant dans ce livre que j’avais lu il y a bien des années, beaucoup de choses me sont apparues plus claires dans la démarche d’Hannah Arendt. Il est évidemment impossible ici de revenir point par point sur les propositions qu’elle formule. Et c’est probablement toujours celui des trois volumes qui a été le plus contesté dans la mesure où c’est le seul où l’autrice instaure un parallélisme entre Hitler et Staline. Par une lecture trop rapide, longtemps j’ai cru qu’elle assimilait, dans ce même concept du totalitarisme, le fait nazi et le fait communiste. Et j’y voyais une conception idéologique à charge du communisme. Mais à la relecture, je dois constater que cette interprétation n’était pas fondée. Ce que Hannah Arendt conjugue dans le « système totalitaire » c’est l’hitlérisme et le stalinisme. Elle prend la précaution, à plusieurs moments tout au long de cette troisième partie, de montrer comment, de son point de vue, Staline liquide le communisme tel qu’il avait été conçu, débattu et mis en œuvre sous Lénine, pour transformer par la révolution les institutions et les structures sociales héritées du tsarisme. Les distinctions nuancées et précises qu’elle établit – et auxquelles elle reviendra à plusieurs reprises par la suite – entre autoritarisme, dictature, tyrannie et domination totale, sont de formidables objets de débat et nous offrent de belles occasions d’affiner notre pensée. Enfin le dernier chapitre « Idéologie et terreur, une forme nouvelle de gouvernement » reste tout à fait significatif pour nous aujourd’hui.
EXTRAIT
En 1954, Hannah Arendt rédige une première version de ce qui deviendra par la suite le dernier chapitre, « Idéologie et terreur, une forme nouvelle de gouvernement», de son grand ouvrage. Cette première version est publiée dans un
petit volume au format poche par la « Petite bibliothèque » des éditions Payot, sous le titre La nature du totalitarisme, dont je tire l’extrait suivant :
« […] en situation totalitaire, au contraire, tout est fait pour “stabiliser” les hommes, pour les rendre statiques, pour empêcher tout acte imprévu, libre, spontané, de sorte que la terreur comme loi du processus puisse se déployer sans obstacle, sans se trouver entravée par ces hommes. C’est la loi du processus lui-même, naturel ou historique, qui désigne les ennemis de l’humanité, et aucune démarche humaine, aucune action libre des hommes n’est autorisée à s’ingérer dans celui-ci. Culpabilité et innocence deviennent des notions dénuées de sens : est “coupable” celui qui fait obstacle au processus de la terreur, c’est-à-dire qui entrave, volontairement ou non, le mouvement de la nature ou de l’histoire. En conséquence, les dirigeants n’appliquent pas les lois mais accomplissent le mouvement selon sa loi interne ; ils ne prétendent pas faire œuvre de justice ni de sagesse mais détenir la connaissance “scientifique”.
La terreur fige les hommes de manière à libérer la voie pour le processus naturel ou historique. Elle élimine les individus pour le bien de l’espèce. Elle sacrifie les hommes pour le bien de l’humanité…»
Mots-clés
Affaire Dreyfus – Antisémitisme – Autoritarisme – Autorité – Bourgeoisie – Camps de concentration – Domination – Droits de l’homme – Extermination des juifs – Hitlérisme – Impérialisme – Libertés publiques – Masses populaires – Nazisme – Racisme – Révolution – Stalinisme – Totalitarisme
Contenu
[*: Texte inédit.]
Hannah Arendt entre passion et raison par Pierre Bouretz (9) – Vie et œuvre par Jean-Louis Panné (93)
Les Origines du totalitarisme (141) – Introduction par Pierre Bouretz (143) – Préfaces (177) – Première partie : l’Antisémitisme (217) – I. L’Antisémitisme, insulte au sens commun (219) – II. Les juifs, l’État-nation et la naissance de l’antisémitisme (229) – III. Les juifs et la société (283) – IV. L’Affaire Dreyfus (327) – Deuxième partie : L’Impérialisme (367) – V. L’émancipation politique de la bourgeoisie (369) – VI. La pensée raciale et le racisme (415) – VII. Race et bureau- cratie (451) – VIII. L’impérialisme continental: les mouvements annexionnistes (501) – IX. Le déclin de l’État-nation & la fin des droits de l’homme (561) – Troisième partie : Le Totalitarisme (609) – X. Une société sans classes (611) – XI. Le mouvement totalitaire (657) – XII. Le totalitarisme au pouvoir (719) – XIII. Idéologie et terreur: une forme nouvelle du régime (813) Textes complémentaires d’Hannah Arendt (839) – Présentation par Pierre Bouretz (841) – Les techniques de la science sociale et l’étude des camps de concentration (845) – En guise de conclusions * (860) – Comprendre le communisme * (875) –Autorité, tyrannie et totalitarisme (880) – Réflexion sur la révolution hongroise * (896) Correspondances et dossier critique (939) – Présentation par Pierre Bouretz (941) – Échanges avec Karl Jaspers (947) – Lettre de Kurt Blumfeld (952) – Les origines du totalitarisme par Éric Voegelin* (958) – Une réponse à Éric Voegelin, par Hannah Arendt * (967) – Pour conclure par Éric Voegelin * (975) Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du Mal (977) – Introduction par Pierre Bouretz (979) – Note au lecteur (1017) – I. La Cour (1021) – II. L’accusé (1039) – III. Un spécialiste de la question juive (1053) – IV. La première solution : l’expulsion (1073) – V. La deuxième solution : les camps de concentration (1085) – VI. La solution finale : le meurtre (1099) – VII. La conférence de Wannsee ou Ponce Pilate (1127) – VIII. Les devoirs d’un citoyen res- pectueux de la loi (1149) – IX. Les déportations du Reich, l’Allemagne, l’Autriche et le protectorat (1165) – X. Les déportations d’Europe occidentale, France, Belgique, Allemagne, Hollande, Italie (1175) – XI. Les déportations des Balkans, Yougoslavie, Bulgarie, Grèce, Roumanie (1193) – XII. Les déportations d’Europe centrale, Hongrie et Slovaquie (1205) – XIII. Les camps de la mort de l’Est (1217) – XIV. Preuves et témoins (1231) – XV. Le jugement, l’appel, l’exécution (1245) – Épilogue (1263) – Post-scriptum (1289) Correspondances et dossier critique (1307) – Présentation par Pierre Bouretz (1309) – Correspondances croisées entre Hannah Arendt, Heinrich Blücher, Karl Jaspers, Mary Mc Carthy, Gershom Scholem (1313) – La controverse autour d’Eichmann à Jérusalem (1403) – Le « cas Eichmann» et les Allemands, entretien avec Thilo Koch (1410)
Délibérément je garde la formulation de l’expression au masculin, parce que le patriarcat me parait incapable de penser le féminin de cette position symbolique, celle du « monstre sacré » précisément, sur le plan de leurs représentations imaginaires.
Hannah Arendt, La condition de l’ homme moderne (1958), traduction de Georges Fradier, Éditions Pocket, 2002. Le titre de l’édition en langue anglaise est The human condition, c’est pourquoi j’y fais référence de cette manière.
Roland de Bodt, « Le camp comme paradis. Prototype de la technocratie indus-trielle », in Journal de Culture & Démocratie, hors-série 2019, p. 37-39
Hannah Arendt, Qu’est-ce que la politique ? éditions du Seuil, collection « Points-essais », 2016.
Que le terme anglais soit Totalitarianism mériterait peut-être une notice docu-mentaire en soi, puisqu’il conjugue, du point de vue de la langue française, laracine du terme « totalitaire » à celle du terme « arianisme » ; ce dernier relevantdu vocabulaire des hérésies religieuses. À suivre ?
Ouvrage déjà cité mais d’autres éditions peuvent être consultées, telles que par exemple : Vies politiques, éditions Gallimard, collection « Tel», 1986 ou La politique a-t-elle encore un sens ?, éditions de L’Herne, 2007.
Hannah Arendt, De la révolution (1963), traduction Marie Berrane, Gallimard, collection « Folio-essais», 2013.
Hannah Arendt, La vie de l’esprit : I. « La pensée » – II. « Le vouloir », Presses universitaires de France, collection « Quadrige », 2013.
Hannah Arendt, La liberté d’ être libre, Traduction de Françoise Bouillot, éditions Payot, collection « Philosophie », 2019.
On trouve une déconstruction explicite de cette instrumentation de l’histoire dans l’oeuvre de Karl Popper, La société ouverte et ses ennemis, deux tomes, éditions du Seuil, collection « Points-essais », numéros 852 et 853. Cet ouvrage est une contribution non négligeable à l’éclairage de la question totalitaire.