« Faire vivre les droits culturels » dans le champ de la création, auprès des institutions culturelles, au sein de leurs équipes… Le colloque organisé le 4 octobre 2019, auquel les Festivals de Wallonie, et plus spécifiquement le Festival Musical du Hainaut, ont eu le bonheur de collaborer aux côtés de leur partenaire Culture & Démocratie, a rassemblé au Grand-Hornu plus d’une centaine de professionnel·les venu·es de la Belgique entière. Preuve a ainsi été faite, si pas de l’adhésion de toutes et tous à cette évidente nécessité de pouvoir développer le concept même de droits culturels au sein de nos «maisons» d’art et de culture, du moins d’un questionnement partagé avec nos collègues wallon·nes, flamand·es et bruxellois·es.
Le colloque organisé l’an dernier a mis en évidence le caractère souvent encore trop flou de ces droits culturels dont nous débattions, leur champ d’application encore trop peu précis, leur définition complexe, sujette à interprétations multiples. Les échanges, riches et nombreux, ont également mis en lumière l’urgence de structu- rer, définir, donner un cadre aux droits culturels, de sorte qu’ils puissent être bien davantage qu’un vœu pieux partagé par bon nombre d’institutions et d’opérateur·ices culturel·les, mais qu’ils puissent trouver une application concrète dans le champ de la création artistique et s’intégrer comme une donnée fondamentale au cœur du travail de ces derniers.
Une année s’est écoulée depuis cette rencontre. Les derniers mois auront été pour chacune et chacun d’entre nous déstabilisants, interpellants, douloureux parfois, surprenants indubitablement. La période instable que nous sommes toujours en train de traverser révèle toute une série de questions, dont bon nombre demeurent à ce jour sans réponse. Sans porter le moindre jugement sur la légitimité de certaines des mesures avec lesquelles nous avons été contraint·es de vivre, force est de constater qu’il aura suffi d’une crise pour que soient remis en question bon nombre de nos libertés et droits fondamentaux : droit de circuler librement, de nous rassembler, droits culturels…
Mais cette crise aura également permis de mettre en évidence l’importance de la culture au cœur de la Cité. Songeons par exemple au débat sur le statut de l’artiste, toujours en cours, soudainement remis sur le devant de la scène politique. Combien d’initiatives inédites n’ont-elles pas vu le jour depuis mars dernier, suscitées par les pouvoirs publics parfois, ou par les artistes eux·elles-mêmes la plupart du temps ?
Contraintes et forcées par les effets inattendus d’une crise qu’elles n’auraient pu appréhender, bon nombre de structures se sont mises elles aussi à explorer de nou- velles pistes de rencontres avec le public : exploitation de l’espace public, initiatives virtuelles, créations itinérantes, etc. Ces démarches ont été souvent l’occasion de ren- contres avec des publics différents, moins coutumiers des théâtres et salles de concert, excentrés, comme autant de moments devenus indispensables au bien-être de toutes et tous. Ces expériences nouvelles ont pleinement participé à la lutte engagée contre l’isolement et contre le climat anxiogène provoqué par cette « guerre » menée contre le virus. La crise sanitaire nous a subitement forcé·es à ré-examiner sous un jour neuf les questions de démocratie culturelle et de démocratisation de la culture.
Il demeure que la fragilité des droits culturels et de leur application, mise en évi- dence et abondamment décrite dans ces actes, a été durement éprouvée. Qu’en est-il du travail mené par les structures culturelles avec les publics défavorisés, précarisés, publics dont l’isolement et la stigmatisation ont été encore renforcés par le confine- ment ? Où en sont aujourd’hui les initiatives de médiation, de création participative, de sensibilisation et d’éveil à l’art et à la culture mises en place par les équipes des théâtres et salles de concert de notre pays, dont l’arrêt brutal des activités a coupé l’élan et réduit sans doute à peu de choses les efforts investis ?
La crise que nous connaissons nous rappelle avec force le côté incertain et humble de notre travail et même, de notre condition. Elle nous rappelle qu’aucun droit n’est jamais acquis définitivement et nous oblige à un regain de vigilance. Elle relance la réflexion sur les valeurs de la société que nous voulons bâtir pour demain. Puissent les défenseur·ses des droits culturels saisir cette occasion unique qui leur est donnée. Faisons de cette crise une opportunité de rendre encore davantage visible leur com- bat. Mettons à profit cette prise de conscience collective et subite de l’importance de l’art et de la culture dans la société pour donner un souffle nouveau au débat mais, surtout, pour avancer des pistes de réalisation concrètes, enrichies peut-être des expériences de ces derniers mois, et offrir aux droits culturels le cadre dont ils ont urgemment besoin pour pouvoir s’épanouir pleinement.
Image : © Anne Leloup
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