« Comment ça va, avec la douleur ? » C’est ainsi qu’on se salue dans certaines régions d’Afrique. Car la souffrance est “normale”, sauf dans les pays dits développés. Charles Henneghien le sait et le photographe ne peut ignorer ce que voit le médecin. Même s’il n’est pas directement concerné. Les images proposées à Culture & Démocratie pour ce dossier ont été faites à Bombay, New-York, Ayorou (le fleuve Niger), au Maroc, au Rwanda. Elles ne sont pas récentes – elles datent des années 1950, 60, 70 – ce qui veut dire que plus ça change, plus c’est la même chose… Le bédouin sous la tente, la mère qui veille son enfant, et l’enfant souffrant et l’enfant souriant, mais seul avec sa prothèse toute neuve, ça existe encore. Et toujours.
Aujourd’hui, si le médecin ne pratique plus, le photographe n’arrête pas de voir !
Dans sa préface au catalogue de la rétrospective qui lui est consacrée en 2015 au Musée de la Photographie, Pierre Dupont, un de ses amis, amateur d’art éclairé, Député permanent, Président des Affaires culturelles du Hainaut, médecin lui-même, souligne qu’il est rare de trouver « un homme qui, se préoccupant de bronchoscopie, soit à même de décrypter les événements du monde et, en tant que photographe, puisse consacrer une part de sa vie aux safaris des hommes » ! L’expression n’est pas exagérée et Charles, qui a beaucoup voyagé, se considère lui-même comme un photographe animalier spécialisé dans l’espèce humaine… ! Dans le même ouvrage, Xavier Canonne fait une distinction entre celui qui, avec son épouse, réalise des montages audiovisuels – Sahara, chronique d’un désert, ou Carnaval, fête retrouvée, et celui qui, en Turquie, Italie, Andalousie, Algérie, Maroc, Syrie réalise des images de reportage, au sens de « rapporter » une expérience. Des images proches des gens et en noir et blanc. C’est parmi celles-ci que le choix a été fait.
Charles Henneghien (Frasnes-lez-Buissenal, 1935), est fasciné par la photographie dès ses treize ans. À l’adolescence, voyageant seul, en stop, il découvre l’Europe. En 1956, avec l’exposition Family of Man, présentée à Bruxelles, c’est pour lui la découverte de ceux qu’il considérera comme ses maîtres, Henri Cartier-Bresson, Werner Bischof, Eugène Smith, Dorothea Lange, Gotthard Schuh, Robert Doisneau, Marc Riboud, Édouard Boubat. Des humanistes. Quand, l’année suivante à Marseille, il prend le bateau pour gagner la Tunisie qui vient d’obtenir son indépendance, la chaleur de l’accueil le surprend. C’est à nouveau un choc positif. Sa photographie s’en ressentira, longtemps. Son regard a changé.
Charles est devenu médecin. Recruté par le ministère marocain de la Santé publique et ayant en charge des mineurs de manganèse, de fer, de charbon, etc., il s’y est attaché et s’est spécialisé en pneumologie. Il les a photographiés.
De retour en Belgique après huit ans au Maroc, il garde sa passion pour la photographie et mène sa tâche de médecin pneumologue dans le bassin charbonnier. À chaque étape ont surgi des situations où l’humain, le social, les questions de santé se sont télescopées. Une vie dense, des rencontres parfois dramatiques. Osera-t-il s’écarter parfois du chemin tout tracé ? Oui, avec des projets quelque peu différents tels que Le musée objectif ou les voyeurs vus (Éditions Daily Bul), ou encore un sujet plus actuel, plus politique qu’on ne pourrait le penser, Sur les traces des Croisades. Mais, et la santé, où la situer ? Tout est lié. Elle est partout et, à considérer les images qu’il nous propose, à tous les niveaux. Il n’a pu l’ignorer. Il l’a photographiée.