Propos recueillis par Laurent Bouchain, metteur en scène, dramaturge et administrateur de Culture & Démocratie et Daniel Simon, éditeur.
Traductions Zoubida Mousshin et Anas Alhajal.
Hossam Al Saadi, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis Syrien, j’ai quarante ans. Je suis caricaturiste. Je découvre la caricature à l’âge de 13 ans et j’ai dû l’arrêter à 16 ans. En mars 2011, la révolution syrienne éclate et je rejoins les opposants au gouvernement sans pour autant reprendre le crayon. En 2012, je crains pour ma vie et je me réfugie au Liban où je renoue avec la caricature après 18 ans d’absence. Après six mois passés au Liban, je me rends en Jordanie où je rallie la coalition d’opposition, la National Coalition of Syrian Revolution and Opposition Forces. Puis je pars pour Istanbul où, avec trois autres artistes, je peins une toile de 440 m2 où figurent les noms des 12.490 enfants syriens morts depuis le début de la révolution.
En 2014, je suis invité à exposer cette toile au Parlement européen à l’occasion de la Journée Internationale de l’Enfant. Elle est envoyée à Bruxelles mais je me vois refuser mon visa. Je décide de prendre « la route des Balkans » afin de suivre ma toile et de demander l’asile politique. Je suis reconnu comme réfugié politique en juin 2016.
Pourquoi avez-vous arrêté le dessin quand vous étiez jeune ?
Quand j’avais 13 ans, j’ai commencé à faire de la caricature et j’ai obtenu la première place dans un concours pour les écoles de ma ville. Mais un jour, lorsque j’ai exposé mes dessins à ľ école sur le thème de la question palestinienne et la guerre d’Irak, immédiatement, j’ai été convoqué à une réunion avec le directeur de l’école et quelqu’un des renseignements secrets. Ils m’ont demandé d’arrêter de dessiner et ils ont retiré tous les dessins que j’avais déjà exposés. Ça m’a fait évidemment tellement peur que j’ai arrêté de dessiner pendant 20 ans.
Après le début de la « Révolution syrienne pour la liberté » et à la fin de l’année 2012, je suis sorti de Syrie pour le Liban et là, je me suis remis à dessiner. C’était une renaissance. En Syrie, le destin de tout caricaturiste dessinant contre le régime est soit la prison soit son assassinat. Je ne suis pas rentré en Syrie depuis lors.
Y a-t-il, à votre connaissance, une « résistance artistique » en Syrie aujourd’hui ?
Je ne crois pas qu’il y ait un art qui puisse résister en Syrie, et s’il existait, ce serait, bien sûr, en secret. L’art a toujours besoin d’un climat plus ou moins serein pour pouvoir exister. Là-bas, les conditions de vie sont très dures : bombardements, arrestations … la priorité, c’est de rester en vie !
Que représente le dessin pour vous ?
Depuis l’enfance, le dessin a été mon rêve. Heureusement, après 20 ans de rupture avec cet art très précieux, mon rêve a recommencé à voir le jour. J’espère que l’occasion qui m’est offerte en Europe me permettra de continuer mon expérience.
L’Europe est une région vraiment magnifique, plus développée que la nôtre et ce dans tous les domaines.
Nous devrions avoir les mêmes réalités aux quatre coins du globe. Les droits sont communs à tous les peuples : droits des femmes, liberté de penser et de croire, protéger l’environnement et lutter contre le racisme … Je suis convaincu que l’art du dessin peut être un moyen de défendre ces droits.
Le dessin est-il une façon de résister face à l’horreur de ce conflit ?
Mes dessins résument et proclament les mots des Syriens qui sont partis ou ceux qui sont encore là-bas. C’est une partie de leurs cris durant ces sept années. Modestement, je ne pense pas que les Syriens attendent mes dessins pour être libérés de leurs souffrances. À partir de 2011, la barrière du silence s’est levée et maintenant des milliers de dessins, d’images et d’idées parlent de la situation de la Syrie.
Est-ce possible aujourd’hui de dessiner la Syrie tout en restant ici ?
Mes dessins constituent le résultat de ma lutte. Je crois que le crayon est mon arme, et le papier mon champ de bataille.