Les super héro·ïnes font partie intégrante de notre paysage médiatique. Ils et elles sont l’une des figures de notre culture de masse cinématographique. Répondant à des impératifs économiques, symboliques et politiques dus aux sources de financements et aux formats cinématographiques, les œuvres qui mettent en scène des super-héro·ïnes portent rarement un message critique ou subversif. Les univers sont fictionnels tout autant que ce qu’ils combattent. Pourtant certaines œuvres et réadaptations récentes de comics portent un message plus radical. Samuel Kakiz revient sur deux adaptations emblématiques de la pop culture : V for Vendetta et The Boys, montrant qu’il existe au sein de la production de mass-médias des récupérations subversives possibles, voire des messages directement critiques de nos réalités sociales.
S’il est une figure culturelle qui domine la pop-culture occidentale, il s’agit sans nul doute du super-héros. Depuis son apparition dans les comics en 1938n, il incarne un symbole pour l’ensemble de ses lecteur·ices. Issu·es d’œuvres écrites, les super-héros et super-héroïnes occupent depuis la seconde moitié du XXe sièclen une très large part de notre paysage médiatique, et ce, grâce aux multiples adaptations cinématographiques et télévisuelles de leurs aventures. Les récits de ces supers se déroulent dans des dystopies inspirées de notre réalité mais sont rarement porteurs d’un message critique vis-à-vis de nos sociétés. Ces personnages évoluent dans des univers fictionnels et les menaces auxquelles il·elles font face le sont aussi : super-vilain·es, génies du crime, monstres, envahisseur·ses extraterrestres, etc.
Cependant, il arrive que certains de ces récits fassent écho à notre société et invitent les lecteur·ices à repenser certains aspects de leur quotidien. Plus subversifs, ils dépeignent une vision négative de notre monde et mettent en scène des anti-héro·ïnes cyniques souffrant du système qu’il·elles cherchent à renverser. Ce sont deux de ces œuvres bédéesques et leurs adaptations filmiques et sérielles qui vont nous intéresser. Dans cet article, nous tenterons de voir si le message porté par l’œuvre originale reste intact ou s’il a tendance à se diluer lorsqu’elle est adaptée vers des formats destinés au « grand public ».
V for Vendetta
Comics publié entre 1982 et 1988, cette fiction scénarisée par Alan Moore et dessiné par David Lloyd se passe en 1997 dans une Angleterre post-apocalyptique dystopique régie par Norse, un régime fasciste qui tente de redresser le pays après avoir procédé à une épuration ethno-politico-sociale. Face à lui se dresse V, un anarchiste masqué troublant l’ordre public et provoquant la rébellion du peuple anglais – son masque est d’ailleurs à l’effigie de Guy Fawkes, qui mena en 1605 un attenta (raté) contre le roi britannique James Iern. L’œuvre originale aborde de multiples thématiques comme l’antifascisme, l’antinucléaire, l’anarchisme, la télésurveillance, la manipulation des médias à des fins propagandistes, la destruction des savoirs, l’obéissance citoyenne ou encore le Terrorisme d’État. Bien que certaines d’entre elles apparaissent dans l’adaptation filmique de 2006, réalisée par James Mc Teigue, la plupart y sont édulcorées.
L’œuvre de Moore était une réponse au thatchérisme britannique des années 1980. Ce contexte socio-historique a été modifié et modernisé dans la version de Mc Teigue afin de proposer un univers au décor plus proche de celui des années 2000.
Le thème de l’épuration a été lissé par l’adaptation alors qu’il est central dans le comics. Quelques passages le suggèrent toutefois. Suggérer plutôt que nommer cette épuration raciale est sans doute une volonté de ne pas heurter la sensibilité du public mais aussi de ne pas contrarier les sociétés finançant le film. Cependant, à une époque où on discrimine encore des individus sur base de leur genre, de leur sexualité, de leur ethnie ou de leur religion, n’aurait-il pas été pertinent d’utiliser la fiction afin de dénoncer ces discriminations ?
De la même façon, et alors que les nouvelles technologies prennent de plus en plus de place dans notre société, il est étonnant de ne pas retrouver dans le film, un élément du récit original à savoir Destin, super-ordinateur orwellien servant d’yeux et d’oreilles à Norse.
Quant aux enjeux idéologiques, toute ambiguïté morale entre les actes de Norse et ceux de V, a été lissée dans l’adaptation qui les oppose dans un manichéisme total. L’antagoniste principal, Sutler, y est dépeint comme un être sans sentiments alors que dans le comics, il croit œuvrer pour « le bien commun » et aider l’Angleterre à se relever. Cela donne une certaine profondeur au personnage. Quant à V, il est tantôt un sociopathe allant jusqu’à éliminer des civil·es pour atteindre son objectif, tantôt un mousquetaire romantique qui se préoccupe autant de son idéal de liberté que de la sauvegarde de vies innocentes.
De même, le traitement cinématographique du personnage d’Evey est discutable, notamment dans sa relation avec V. Si l’Evey filmique est plus forte, elle perd de sa substance par rapport son alter ego bédéesque. Dans le film, elle ne fait qu’observer les agissements de V tandis que dans le comics, elle devient V après la mort de celui-ci, galvanise la foule et prend un apprenti pour le former à son tour. Bien qu’intégrer un personnage féminin fort dès le début du récit soit louable, c’est ce passage symbolique de l’enfance à l’âge adulte qui rend Evey si intéressante dans l’œuvre papier. Ce développement est rendu impossible par la contrainte de temps imposée par le format court d’un film. Enfin, la raison pour laquelle Evey est adulte dans le film semble être de créer un love interest pour V, alors que dans le comics leur relation est platonique. Ce choix la réduit symboliquement en la conformant aux codes du cinéma hollywoodien.
Enfin, le dénouement de l’adaptation diffère fortement de celui de l’œuvre originale. Alors que dans l’œuvre source, Norse s’effondre brutalement lorsque V fait exploser le Parlement – causant la mort d’innocent·es – et exhortant la population à s’attaquer aux forces de l’ordre, le film se termine sur un renversement pacifique du pouvoir. V y devient un martyr ainsi qu’une figure de rassemblement auquel le peuple s’identifie en revêtant le même masque. Le héros passe ainsi de terroriste anarchiste à symbole romantique pacificateur œuvrant pour la Liberté. Cet effondrement d’une dystopie fasciste par une rébellion pacifique nous parait ironiquement utopique.
L’œuvre source cherche à expliquer l’émergence d’un régime autoritaire tout en pointant ses travers. Elle met en scène un anti-héros dont la cause peut sembler noble, mais dont les actes ne peuvent récolter l’entière approbation des lecteur·ices. Ces éléments permettent de comprendre les enjeux traités et nous empêchent d’adhérer pleinement à un camp ou à un autre. Tous ces éléments contrastent avec l’adaptation destinée à un public plus large qui, soumise aux contraintes du cinéma hollywoodien, se voit obligée de lisser les éléments du récit original pouvant être jugés politiquement incorrects. Malgré cela, V reste un symbole de contestation comme en témoigne la réappropriation de son masque par les adhérent·es au mouvement hacktiviste Anonymous créé en 2003. Ce phénomène de réappropriation est observable dans différentes régions du monde, notamment lorsque des manifestant·es occupent l’espace public en portant des masques de Salvador Dalin, ou en se grimant à la manière du Jokern. Peu importe le masque, il est à chaque fois revêtu afin de contester une autorité jugée criminelle. Ces masques permettent aux citoyen·nes de devenir les héro·ïnes de leur quotidien. Si l’œuvre adaptée ne critique pas officiellement notre société ou si son message se dilue, il est toujours possible pour les masses de se réapproprier leurs symboles de rébellion à des fins militantes. Ils deviennent ainsi des figures fédératrices auxquelles chacun·e peut s’identifier. Aussi, la réappropriation de personnages issus de la culture pop attise la curiosité de la presse et assure à ces militant·es une large médiatisation.
The Boys
Cette série, produite depuis 2019, est une adaptation libre du comics éponyme scénarisé par Garth Ennis et dessiné par Darick Robertson, publié de 2006 à 2012. Le pitch est bref mais efficace : les super-héros et héroïnes existent mais sont totalement dépravé·es, sortes de pastiches parodiques des personnages créés par DC Comicsn ou Marveln. Toutes et tous ont les défauts humains : orgueil, cupidité, violence, misogynie, homophobie, racisme, etc. Cependant, un groupe d’activistes victimes de ces « supers »n, les Boys, cherche à révéler leur vraie nature.
Le comics s’inscrit dans une Amérique post-11 septembre, mais la série ancre son histoire dans notre contemporanéité permettant aux téléspectateur·ices de s’y identifier. Elle fait subtilement la critique de l’Occident, et plus précisément de l’Amérique actuelle. Si elle joue avec les codes super-héroïques, elle les utilise pour critiquer des aspects de notre société : culte de la célébrité, monétisation de celle-ci, influence de symboles chrétiens et des multinationales sur la sphère publique et politique, etc. Cette influence est représentée dans la série et dans le comics par Vought International, compagnie pharmacologique créant secrètement les supers et leur servant de sponsor. Les rares supers honnêtes doivent se soumettre aux exigences de cette société. Quand il·elles ne sont pas harcelé·es moralement, physiquement ou sexuellement, il·elles sont témoins des méfaits de leurs collègues et soumis·es à une omerta rappelant l’impunité des violences policières mises en lumière ces dernières années (mouvement Black Lives Matter, affaires George Floyd, Adama Traoré, Mawda, etc.). La Justice ne s’applique pas aux forces de l’ordre et couvre également les impuni·es. Enfin, les bon·nes justicier·es, comme les bon·nes policier·es sont réduit·es au silence par leurs collègues et leur hiérarchie. Cette omerta rappelle également le silence hollywoodien quant aux agressions sexuelles et viols sur de nombreuses actrices, brisé par le procès d’Harvey Weinstein. Cette libération de la parole et cette condamnation de la masculinité toxique sont présentes dans la série – et pas dans le comics original – à travers l’héroïne, Starlight, qui dévoile le viol que Deeper lui a fait subir pour conserver son poste parmi les Septn.
Dans les comics conventionnels, les super-héro·ïnes outrepassent les lois pour rendre la justice, ici c’est un groupe citoyen qui sabote la pègre super-criminelle. Dans le comics les Boys se droguent pour obtenir des capacités surhumaines ; dans la série ils ne comptent que sur leurs propres ressources pour démanteler cette corporation. Ce choix est lourd de sens et permet aux spectateur·ices de davantage s’identifier à ces personnages.
Une critique antiraciste est présente au travers du personnage de Stormfront, ancienne partisane du troisième Reich. Faussement féministe et scandant à tout va « Girl Power », elle profite de sa notoriété pour perpétrer des crimes racistes, exécutant froidement des personnes racisées et cherchant à évincer les autres super-héro·ïnes racisé·es du groupe des Sept. Elle tente aussi de manipuler ses allié·es en prétextant protéger leur ethnie des peuples envahisseurs – référence à la théorie du « grand remplacement » très prisée par l’extrême-droite. Si le personnage est présent dans le comics, il ne s’agit que d’une version « nazie » du héros Thorn. La série réinvente le personnage de façon à l’intégrer dans le contexte social contemporain et condamne à travers elle les crimes racistes qui font trop souvent encore les gros titres des journaux.
Le Homelandenr, dont le nom fait référence au Homeland Security Actn, incarne le pire de l’actualité américaine. Le « Protecteur de la patrie » n’est motivé que par la satisfaction de son ego et se pavane à tous types d’évènements publics : festivals religieux, militaire, conférences de presse, etc. Lorsqu’il n’obtient pas ce qu’il veut, il se laisse aller à des crises de colère rappelant certaines divas de la télé-réalité, voire d’un certain président américain… Le personnage se laisse séduire par Stormfront et ses idées, rappelant la non-condamnation des membres du Klan et d’autres groupes suprématistes par Donald Trump. De même, le Homelander attise la peur du peuple américain envers les menaces extérieures avec des slogans propagandistes. Du « Protect America » à « Make America great again », il n’y a qu’un pas…
Dans la lignée du Homelander, Vought International effraie également le peuple américain à des fins mercantiles. La compagnie envoie en petites quantités le sérum créant les super-humain·es à travers le monde notamment dans des pays en guerre, finançant ainsi le super-terrorisme. L’objectif est de créer des super-vilain·es menaçant le peuple américain afin que les supers intègrent l’armée américaine, donnant ainsi plus de pouvoir à Vought International. Cet élément peut être une référence au financement indirect de groupes terroristes par des pays occidentaux comme les États-Unis, la France ou encore la Belgique, que ce soit par le versement de rançons pour la libération d’otages nou par la détention d’armes occidentales par des groupes terroristes.
Enfin, la série opère une critique du purple washing et du pink washing. Comme de nombreuses entreprises et personnalités, Vought tente de récupérer les luttes féministes et LGBTQI+ à des fins politico-commerciales en mettant en avant l’arrivée d’un trio féminin super-héroïque au sein des Sept. Néanmoins, leur image est utilisée pour promouvoir des marques de vêtement et des produits cosmétiques abusant du slogan « Girls Get It Done »n. Aussi, l’entreprise recourt au pink washing en surfant sur la bisexualité révélée de Maeven pour se constituer une fanbase LGBT+. Si, dans la diégèse, Maeve devient un produit étiqueté gay-friendly, narrativement le personnage n’est pas défini par sa bisexualité et la série évite l’écueil qu’elle critique. Au niveau extra-diégétique, cela peut être vu comme une critique du manque de représentation de la communauté LGBTQI+ au sein du cinéma hollywoodien. Il en est de même pour le purple washing puisque la série affiche des protagonistes et antagonistes féminins forts qui ne sont pas définis uniquement par leur « féminité ». Contrairement à l’Evey filmique, si Starlight fait l’objet d’une romance, son rôle ne se limite pas à être un love interest et tout un pan du scénario lui est consacré.
Le message critique d’une œuvre est toujours altéré lorsqu’elle est adaptée vers un autre média, mais sans forcément impliquer une dilution. Cette altération dépend de nombreux facteurs comme les choix opérés par le script et la réalisation (adaptation fidèle ou libre), du format adopté (film, série…), du contexte de diffusion (facteur sociopolitique), etc. Bien que l’adaptation de V for Vendetta, soit plus consensuelle que l’œuvre source, la réappropriation qu’en a fait son public redonne sa subversivité au héros et l’érige au rang de symbole. Comme l’a théorisé Umberto Eco dans son Traité de sémiotique générale, une œuvre échappe toujours aux attentes de son auteur·ice et lorsqu’elle est actualisée par son public, elle fait l’objet d’une reconstruction symbolique. Dans le cas de V for Vendetta, la réactualisation opère un retour partiel au personnage source. Dans The Boys, le message de l’œuvre source est altéré mais pas dilué : il est au contraire amplifié. L’adaptation se fait la critique sociale de son temps en pointant du doigt de multiples problématiques qui n’étaient pas présentes dans l’œuvre source. Contrairement à V for Vendetta qui lissait sa dimension subversive en essayant malgré tout de rester fidèle à l’œuvre source, la dimension subversive dans l’adaptation de The Boys persiste justement parce qu’elle prend de nombreuses libertés vis-à-vis du récit original.
Créé en janvier 1933 par le scénariste américain Jerry Siegel et le dessinateur canadien Joe Shuster, le personnage de Superman, considéré comme le premier des super-héros, fut vendu à Detective Comics. Il apparait pour la première fois dans un Action Comics en juin 1938.
Superman a fait l’objet, de 1952 à 1958, d’une adaptation en série télévisée, interprétée par George Reeves, Les Aventures de Superman. En 1978, Superman de Richard Donner, est le premier film moderne de super-héros et marque le renouveau du genre en étant un immense succès commercial. Il connait plusieurs suites dans les années 1980 : Superman 2 (1980), Superman 3 (1983) et Superman 4 (1987).
Il s’agit de la Conspiration des poudres, dont Guy Fawkes fut l’instigateur avec un groupe d’autre catholiques comme lui. L’échec fut longtemps commémoré par des célébrations qui ont donné naissance à la Guy Fawkes Night (ou Bonfire Night). En 2008, le masque de Guy Fawkes, porté par le personnage anarchiste de V, est devenu l’emblème des hackers du mouvement Anonymous.
Référence à la série hispanique La Casa de Papel dans laquelle des braqueur·euses occupent pendant plusieurs jours la Fabrique nationale de la Monnaie espagnole afin d’imprimer des billets et en redistribuer à une partie à la population.
Antagoniste principal de Batman, incarné par Joaquin Phoenix dans le film éponyme sorti 2019.
Batman, Superman, Wonder Woman, Justice League, etc.
Avengers, X-Men, Fantastic Four, Spiderman, etc..
Les « supers », Supes en anglais, désignent les super-humain·es dans la série.
Groupe super-héroïque géré par Vaught International, pastiche de la Justice League de l’éditeur DC Comics.
Personnage inspiré du dieu nordique, membre des Avengers appartenant à l’éditeur Marvel.
Pastiche de Superman.
La « Loi sur la sécurité intérieure » est une réponse juridique des États-Unis suite aux attaques du 11 septembre 2001.
Entre 2008 et 2014, la France aurait versé près de 58 millions d’euros pour libérer des ressortissant·es des mains d’Al-Qaïda au Maghreb.
« Les filles le font [aussi]».
Pastiche de Wonder Woman appartenant à l’éditeur DC Comics.