Le monde pénitentiaire, et par extension le monde carcéral, est une forme d’impensé au sein de nos démocraties. Pourtant, il est non seulement en porte-à-faux vis-à-vis de l’idéal qui caractérise les sociétés libérales, la liberté par la liberté de mouvement, et il est en plus l’élément pivot de la régulation de la violence sociale. Monde forclos, fantasmé, à l’abri des regards, source en retour d’une très grande violence sociale, physique et mentale. Le Genepi Belgique est une association qui a pour conviction de décloisonner le monde carcéral, de le rendre de plus en plus poreux afin que la société civile puisse non seulement voir et comprendre ce qui s’y passe mais aussi pour que nous puissions apprendre, depuis cet univers somme toute assez expérimental en termes d’organisation des hommes et des femmes, sur ce qui souvent se diffuse dans la société civile. C’est ainsi qu’est né le journal La Brèche, dans une optique de diffusion et de transmission matérielle de savoirs, de pratiques, témoignages et analyses d’un côté comme de l’autre des murs des prisons − ou des barrières invisibles des nouveaux dispositifs du pénal (bracelets, etc.). La Brèche n’entend pas démêler le vrai du faux mais plutôt démultiplier les perspectives de ceux et celles qui, d’une manière ou d’une autre, sont pris·es et affecté·es par l’enfermement (chercheur·ses, familles, détenu·es, travailleur·ses…).
En mars 2020, alors que le confinement venait d’être décrété, une telle transmission est apparue plus que jamais comme une nécessité. La population du « dehors » faisait l’expérience inédite en démocratie libérale d’un confinement de plusieurs mois. Les analogies avec la situation carcérale fleurissaient alors que le confinement venait justement redoubler l’enfermement pénitentiaire (conditions sanitaires, absence de visites, etc.). C’est dans ce contexte que La Brèche a décidé de composer un numéro sur la spatialité carcérale, rappelant que si la peine est une temporalité, elle est avant tout une réorganisation spatiale : une cellule de béton de 9m2, un monde plat, sans aspérités. Des lieux qu’on replie dans l’invivable de celles et ceux que la société considère « invivables ». Mais − et c’est là où se relève le problème le plus essentiel peut-être − ce monde invivable, des gens y vivent pourtant. Que dire de toutes ces voix et ces vies qui y insistent, résistent, attendent, se font et se défont malgré tout ?
Le poème de Latifa, extrait de ce numéro de La Brèche (poème initialement paru dans Paroles détenues, un fascicule publié en 2017 par l’asbl Barricade), décrit leurs territoires, leur dureté mais aussi dans l’expérience de la trace elle-même, une infime lucarne vers l’extérieur, pour l’extérieur.
La prison, ho le cauchemar
commence, la purge.
Dès ton entrée, empreinte de la main,
photo et tu deviens un numéro.
Fouillée nue.
Seule au monde, dur dur.
Pas de visite, pas d’argent,
pas de tabac,
pas de vêtements, pas de cantine.
Punition dans la punition.
Punition à l’ombre d’un cachot.
Le noir, seule au monde, dur dur.
Un matelas, une couverture qui pue,
pas de coussin,
mon bras comme oreiller.
Dans une pièce de 2m sur 4,
24h sur 24.
Pas de cigarettes.
Levée 6h30, je peux demander
un préau individuel.
D’un cachot sombre
à une cage d’animaux,
il fait froid,
il y a plein de sales bêtes.
Pendant une heure, rien à faire,
tu attends dans le froid.
Les minutes c’est comme des heures,
en espérant qu’ils ne t’oublient pas.
J’ai peur de faire un malaise
car pas de sonnette, pas d’alarme,
pas de bouton pour les appeler.
Tu cries :
« Chef, chef, venez me chercher,
j’ai froid »… Rien, personne.
3/4h après, enfin, j’entends des pas,
des clés
qui s’approchent de la porte où je me
trouve.
« Ah enfin, ils sont là,
ils viennent me chercher. »
Toute contente,
« merci chef d’être venu ».
Contente de retrouver le cachot,
au moins il n’y a pas de courants
d’air… mais pas d’air non plus…
Pas de juste milieu, dans rien.
Puis une cruche avec
du café dégueulasse,
sans sucre
et chaque gorgée est un poids lourd
à l’estomac. Deux tartines à peine
beurrées avec un peu de confiot’.
À midi, une assiette en plastique,
couverts en plastique,
viande déjà découpée.
Après le repas,
ils viennent tout reprendre,
pas possible de garder une gorgée
de café pour plus tard.
Une bouteille d’eau pour toute
la journée.
Le papier toilette distribué
au coupon et rationné. Heureusement
que je n’ai pas la chiasse…
Ceci dit, même quand je ne suis pas
au cachot, je n’ai droit qu’à un
rouleau par semaine.
Heureusement ma famille ne vient
pas aujourd’hui, sinon ils devront
faire demi-tour sans me voir,
200km aller-retour.
Pas de pitié pour les familles.
Personne ne peut s’approcher de la
porte du cachot, une ligne rouge
au sol marque la limite.
Aucun contact
avec les autres détenues.
Le temps est dur et long.
Toute seule au monde.
Image : © Benjamin Monteil
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