Pour créer la série d’images du Journal de Culture & Démocratie n°56 sur les rituels, Olivia Sautreuil, dessinatrice et sérigraphe, est partie d’une réflexion sur le temps et sur la façon dont celui-ci ritualise nos journées à partir du livre River of Shadows: Eadweard Muybridge and the Technological Wild West de Rebecca Solnit. Elle s’est aussi intéressée au Kibbot Kift, un mouvement du XXème siècle opposé à la vision militariste de certains groupes scouts, dont l’univers et les pratiques rituelles mêlaient mythes, artisanat et art de la vie dans la nature. Comment s’émanciper de l’ordre par l’invention de nouvelles ritualités ? Finalement, l’univers de l’enfance est omniprésent dans cette série d’images, univers familier pour Olivia qui travaille régulièrement pour l’édition et la presse jeunesse. Comment les enfants s’approprient-il·elles les objets du quotidien en les détournant pour apprendre et pour imaginer d’autres possibles ?
Au fil des pages de ce Journal, un·e enfant collecte des objets, les assemble, s’en pare, compose des semblants d’ex-voto. Olivia explique : « Collecter a un côté rassurant, c’est une curiosité et un apprentissage. Tous les enfants ne ramassent pas les mêmes types d’objets . Ceux qui sont choisis participent peut-être à la constitution de leur environnement, mais aussi, au-delà, de leur identité : en opérant des choix, les enfants s’affirment en quelque sorte en tant qu’individus . » Mais elle ajoute : « Si je voulais dessiner tous ces objets et revenir sur notre relation à eux, c’est aussi parce qu’ils m’oppressent complètement : que faire avec tout cela ? »
En réalisant cette série, la dessinatrice a aussi beaucoup pensé aux artistes d’art brut, qui œuvrent hors des sentiers habituels de l’art et de la culture : « Ces artistes travaillent souvent par l’accumulation d’un matériel qui ne vaut rien. » Elle évoque notamment Ray Materson, emprisonné aux État-Unis, qui a réalisé des broderies avec les fils de ses chaussettes . Pour Olivia, « dans un lieu de privation des libertés et sans repère temporel, recréer un quotidien par un rituel créatif dans un semblant de normalité est sans doute un moyen de ne pas devenir fou ».
Si les objets ne sont « que du matériel », notre rapport à eux est en réalité beaucoup plus complexe et se transforme avec le temps − de l’enfance à l’âge adulte. Au-delà des objets en eux-mêmes ce sont nos relations à l’autre et au monde qu’ils incarnent telle une mémoire humainen. Quelle mémoire de notre société souhaitons-nous transmettre
aux générations futures ?
Et si ces rituels enfantins de détournement d’objets et de compositions en bouts de ficelle nous inspiraient au-delà des images ? Revaloriser les objets, les faire circuler, les transformer avec inventivité, c’est aussi refuser l’injonction de la surconsommation et s’ouvrir à un monde joyeux et bariolé, un monde où les objets nous surprennent, où ils sont source de création et de partage.
Après des études d’imprimerie et de design graphique à Rennes et à Londres, Olivia Sautreuil s’installe à Bruxelles pour y développer un travail d’illustration. Elle dessine pour la presse et l’édition, principalement jeunesse. Ses influences vont de l’art vernaculaire en passant par les techniques d’impression et leurs productions respectives, les livres illustrés ou encore les nuanciers de tout horizon. Elle vient de publier une bande dessinée chez Bayard Graphic : Germaine Richier. La femme sculpture, avec Laurence Durieu au scénario.
Lire à ce sujet, Marcelline Chauveau, « L’objet à l’œuvre », Journal de Culture & Démocratie n°56, 2023.