Des chiffres et des courbes
Irene Faveroprésidente de Réseau culture 21
Depuis mars 2020 nos vies se sont mises au rythme des bulletins « de guerre » quotidiens. Nous nous sommes retrouvé·es à la merci de chiffres et de courbes interprétables et interprétées différemment par des expert·es et moins expert·es, qui ont justifié des stratégies d’action pas toujours claires ou comprises.
Les données ont fait, avec cette pandémie, une entrée fracassante dans nos vies. Elles en ont pris le contrôle. Que les données soient des outils pour convaincre, qu’elles viennent appuyer des arguments sous prétexte de leur objectivité et de leur caractère scientifique : tout ceci n’est pas nouveau. Mais jamais le besoin d’une autre approche aux données qui (in)forment nos vies ne s’est fait sentir avec autant d’urgence.
Les données sont des artefacts culturels. Elles sont désormais intrinsèquement connectées à ce qu’on fait et pense, à nos imaginaires et désirs. Loin de relever de la technique et de la technologie, elles nous parlent de nous, de notre culture, de notre façon d’être ensemble, de notre psychologie individuelle et collective. C’est une matière sensible qui impacte notre dimension psychologique, relationnelle, sociale et environnementale.
De nouvelles alliances et de nouveaux processus de création des connaissances partagées sont indispensables pour dépasser l’approche extractive à l’œuvre en matière de données comme dans de nombreux autres domaines tels que le travail ou le rapport que nous entretenons avec l’environnement. Il s’agit alors de fonder une approche existentielle aux données s’opposant à l’approche extractive.
C’est ce que les artistes Salvatore Iaconesi et Oriana Persico nous invitent à faire. En présentant leur centre de recherche HER : She Loves Data, il et elle imaginent une nouvelle cosmologie dans laquelle les êtres humains ne seraient qu’une partie d’un réseau dynamique d’acteur·ices plus vaste, composé d’être humains, non-humains, d’agents computationnels, animaux et acteurs complexes comme bois, forêts, mers, pouvant tous avoir une personnalité juridique reconnue.
« Dans cette cosmologie, les données et la computation jouent un rôle essentiel. Compte tenu du caractère globalisé de notre monde, nos sens ne sont plus suffisants pour saisir ce qui nous entoure, et qui ne peut être compris qu’à travers d’énormes quantités et qualités de données. Seul les agents computationnels peuvent avoir affaire à une telle masse de données. Dans cette nouvelle façon d’“habiter” notre monde et notre temps, nous avons besoin de nouvelles sensibilités pour porter ces nouvelles dimensions de la connaissance dans le domaine du sensible. »
Des nouvelles alliances avec données, agents computationnels, chercheur·ses, êtres humains et environnement seront nécessaires pour fonder nos nouvelles institutions de recherche et de création de la connaissance. Cette révolution culturelle que nous appelons de nos vœux, cette nouvelle façon d’habiter notre monde et notre temps ne peut pas faire l’économie d’une approche en « communs » des données et de la connaissance.
Lecture
Salvatore Iaconesi, « Fisica, Chimica, Biologia ed Ecologia del Nuovo Abitare », La Cura ai tempi del Coronavirus #6, Operaviva, 26/08/2020.